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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/185

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ments et les architectures ; les ciels n’ont plus d’éclat, la moisissure y met ses plaques de lèpre ; les déesses de la voûte s’écaillent. — Cependant les étrangers, un livret à la main, font leurs observations tout haut ; les copistes remuent leurs échelles. Figure-toi au milieu de tout cela le malheureux visiteur obligé de se tordre le cou pour manœuvrer sa lunette.

Assurément dix-neuf visiteurs sur vingt sont déçus dans leur attente et demeurent bouche béante en murmurant : « N’est-ce que cela ? » Il en est de ces fresques comme des textes mutilés de Sophocle ou d’Homère. Donnez le manuscrit du treizième siècle à un lecteur ordinaire, et supposez qu’il puisse le déchiffrer. S’il est de bonne foi, il ne comprendra rien à votre admiration, et demandera en échange un roman de Dickens ou un lied de Heine. Moi aussi, je comprends que je ne comprends pas. Il me faudra deux ou trois visites pour faire les abstractions et les restaurations nécessaires. En attendant, je vais dire ce qui me choque : c’est que tous ces personnages posent.

Je viens de monter à l’étage supérieur et de voir cette célèbre Transfiguration qu’on appelle le plus grand chef-d’œuvre de l’art. Y a-t-il au monde un sujet de tableau plus mystique ? Le ciel ouvert, les personnages bienheureux qui apparaissent, les corps pesants, qui, dégagés des grossières lois terrestres, montent dans la gloire et dans la lumière, tout le délire et la sublimité de l’extase, un vrai miracle, une vision comme celle de Dante lorsqu’il s’élève au paradis les yeux fixés sur les yeux rayonnants de Béatrix ! Je pensais à l’apparition des anges dans Rembrandt, à cette rose de figures mystérieuses, qui tout d’un coup flamboie dans la nuit