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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/194

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de sa main. On ne lui opposait qu’un rival, Michel-Ange, et bien loin de lui porter envie, Raphaël s’inclinait devant lui avec autant d’admiration que de respect. Ses lettres indiquent la modestie et le calme de l’âme. Il était extrêmement aimable et fut extrêmement aimé ; les plus grands le protégeaient et l’accueillaient : ses élèves lui faisaient un cortège d’admirateurs et de camarades. Il n’a eu à lutter ni contre les hommes, ni contre son propre cœur. Il ne semble pas que l’amour ait troublé sa vie, il s’y est complu sans déchirement et sans angoisses. Il n’a pas été obligé comme tant de peintres d’enfanter douloureusement ses conceptions ; il les a produites comme un bel arbre produit ses fruits. La sève était abondante, et la culture avait été parfaite ; l’esprit enfantait naturellement, et la main exécutait sans peine. Enfin les images qui l’occupaient semblaient exprès choisies pour entretenir la sérénité dans son âme. Il avait passé sa première jeunesse parmi les madones du Pérugin, pieuses et paisibles jeunes filles, d’une quiétude virginale, d’une douceur enfantine, mais saines, et que la fièvre mystique du moyen âge n’avait point touchées. Il avait ensuite contemplé les nobles corps antiques et compris la fière nudité, le bonheur simple de ce monde détruit dont on venait de déterrer les fragments. Entre les deux modèles il avait trouvé sa forme idéale, et il errait dans un monde tout florissant de force, de joie et de jeunesse comme la cité antique, mais où la pureté, la candeur, la bonté d’une inspiration nouvelle répandaient un charme inconnu, sorte de jardin dont les plantes avaient la vigueur et la sève païenne, mais où les fleurs demi-chrétiennes s’ouvraient avec un sourire plus timide et plus doux.