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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/196

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voluptueux comme ses contemporains ; c’est un rêveur charmant, qui a rencontre le moment où l’on savait faire des corps.

Nulle part cette délicatesse n’est plus visible que dans la Déposition de la croix du palais Borghèse. Il n’avait que vingt-trois ans lorsqu’il la fit, et approchait, sans y toucher encore, du moment où il peignit ses fresques. Il a déjà laissé derrière lui les ordonnances froides du Pérugin, et remue ses personnages, quoique avec une sorte de timidité et un reste de roideur. Des deux côtés du corps sont des groupes qui se font équilibre, trois hommes à gauche, à droite quatre femmes, et les attitudes sont déjà variées, parfaitement belles. Toute la jeunesse de l’invention y luit comme une aurore : non que le tableau soit touchant, comme le veut Vasari ; c’est dans Delacroix qu’il faut voir une mère désespérée près d’un cadavre, un vrai linceul, le grand deuil de la nature, les teintes lugubres des fonds violacés où tranche tragiquement le rouge d’un manteau froissé. Ce qui éclate ici, c’est la riante ou superbe adolescence ; rien n’est plus beau que le beau jeune homme qui se tend en arrière pour soutenir le corps, sorte d’éphèbe grec avec des cnémides rouges relevées par une bordure d’or ; rien de plus délicieux que la jeune femme aux cheveux tressés, qui, demi-accroupie, lève ses bras vers la pauvre mère, afin de la soutenir. Ces corps sont vierges, parés comme pour une fête, et la bonté la plus aimable reluit dans leurs regards. Des fleurs suaves dressent çà et là leurs calices ; l’horizon est rayé d’arbres grêles et rares. L’âme, noble et gracieuse comme celle de Mozart, est encore en bouton et perce son enveloppe.

De là il faut passer à ses œuvres païennes, et on y