Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Comme il est loin de ses premières timidités chrétiennes ! Entre la Déposition de la croix et la Farnésine, le souffle de la renaissance païenne a passé sur sa tête et développé tout son génie du côté de la joie et de la vigueur.

Sa pauvre Galatée, qui est dans la salle voisine, a bien souffert du temps. Elle a l’air détrempée ; une partie du modelé a disparu, la mer et le ciel sont ternes et salis par plaques ; mais elle est de la main de Raphaël : on s’en aperçoit à la grâce et à la douceur de Galatée, au geste du petit Amour qui déploie si harmonieusement ses membres, à l’invention si originale des dieux et des déesses marines. La nymphe nue enlacée à mi-corps se laisse faire avec une expression de coquetterie charmante ; le triton barbu au nez busqué qui l’enserre et l’accapare superbement dans ses bras nerveux a toute l’allégresse et l’élan d’un dieu animal qui respire à pleine poitrine dans l’air salé de la mer le contentement et la force. Derrière, une femme aux blonds cheveux flottants s’assied sur la croupe du dieu qui l’emmène, et son dos cambré se creuse avec la plus savante élégance. — Le peintre ne s’abandonne pas à son sujet, il demeure sobre et modéré, il évite d’aller jusqu’au bout du mouvement et de l’expression, il épure des types et arrange des poses. Ce goût naturel de la mesure, ces instincts affectueux qui le portent, comme Mozart, à peindre la bonté native, cette délicatesse d’âme et d’organes qui lui fait rechercher partout les êtres nobles et doux, tout ce qui est heureux, généreux et digne de tendresse, cette fortune singulière d’avoir rencontré l’art sur la cime extrême qui sépare l’achèvement de la préparation et de la décadence, ce bonheur unique d’une