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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/235

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fut son monarque et son idole ; peinture ou statuaire, que rien maintenant ne vienne distraire mon âme tournée vers le divin amour qui sur la croix ouvrit les bras pour nous recevoir. » Dernier soupir d’une grande âme dans un siècle gâté, chez un peuple asservi ; pour elle, le renoncement est le seul refuge. Soixante années durant, ses œuvres n’ont fait que rendre visible le combat héroïque qui jusqu’au bout s’est livré dans son cœur.

Des personnages surhumains aussi malheureux que nous-mêmes, des corps de dieux roidis par des passions terrestres, un olympe où s’entre choquent les tragédies humaines, voilà la pensée qui descend de toutes les voûtes de la Sixtine. Quelle injustice que de lui comparer les Sibylles et l’Isaïe de Raphaël ! Ils sont forts et beaux, je le veux bien, ils témoignent d’un art aussi profond, je n’en sais rien ; mais ce que l’on voit du premier regard, c’est qu’ils n’ont pas la même âme : ils n’ont jamais été dressés comme ceux-ci par la volonté impétueuse et irrésistible ; ils n’ont jamais éprouvé comme ceux-ci le tressaillement et le roidissement de l’être nerveux qui se bande et se lance tout entier au risque de se briser. Il y a des âmes où les impressions rejaillissent en foudres, et dont toutes les actions sont des éclats ou des éclairs. Tels sont les personnages de Michel-Ange. Son colossal Jérémie, qui rêve appuyant sa tête énorme sur son énorme main, à quoi rêve-t-il, les yeux baissés ? Sa barbe tressée et flottante qui descend jusqu’à la poitrine, ses mains de travailleur sillonnées de veines saillantes, son front plissé, son masque épais, le grondement sourd qui va sortir de sa poitrine, donnent l’idée d’un de ces rois barbares, sombres chas-