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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/271

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Palais Sciarra et Doria.


L’ancien roi de Naples habite le palais Farnèse, en sorte qu’il est difficile d’en voir les peintures ; les autres sont ouverts à jours fixes. Les propriétaires ont le bon goût et le bon sens de faire de leurs galeries privées des musées publics. Des pancartes servant de livrets sont posées sur les tables et mises à la disposition des visiteurs ; les concierges et les gardiens reçoivent gravement leurs deux pauls : en effet, ce sont des fonctionnaires qui servent le public et doivent être payés par le public. — Voilà le passage de la vie aristocratique au régime démocratique : les chefs-d’œuvre, les palais ont déjà cessé chez nous d’être la propriété de particuliers pour devenir l’usufruit de tout le monde.

Palais Sciarra. — Deux tableaux précieux sont sous verre : le premier, le plus beau, est le Joueur de violon de Raphaël. C’est un jeune homme en barette noire, en manteau vert, avec un collet de fourrure et de grands cheveux bruns tombants. On a bien eu raison de déclarer Raphaël le prince des peintres ; impossible d’être plus sobre, plus simple, de comprendre la grandeur plus naturellement et avec moins d’effort. Ses fresques ternies, ses plafonds écaillés ne le montrent pas tout entier ; il faut voir des morceaux où, comme ici, le coloris n’a pas souffert, et où le relief est intact. Le jeune homme tourne lentement la tête et regarde le spectateur ; la noblesse et le calme de cette tête sont incomparables, et aussi sa douceur et son esprit ; on ne peut pas imaginer un être plus beau, plus fin, plus digne d’être