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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/281

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côté d’une vieille femme courbée. Il y avait deux hommes dans le spectateur du temps, le dévot qui, en payant le tableau pour une église, croyait gagner cent ans d’indulgences, et l’homme d’action qui, la tête remplie d’images corporelles, se plaisait à contempler deux corps sains, actifs, dans des manteaux bien drapés.

L’amour sacré et l’amour profane de Titien, encore un chef-d’œuvre et du même esprit : une belle femme habillée à côté d’une belle femme nue, rien d’autre, et cela suffit. L’une sérieuse du sérieux le plus noble, l’autre blanche de la blancheur ambrée de la chair vivante entre un linge blanc et un vêtement rouge, les seins peu marqués, la tête exempte de toute bassesse licencieuse, donnent l’idée du plus heureux amour. À côté d’elles est un bassin sculpté, derrière elles un grand paysage bleuâtre, des terrains roux tranchés par la teinte foncée des bois sombres, et dans le lointain la mer ; à distance sont deux cavaliers ; on aperçoit un clocher, une ville. Ils aiment les paysages réels qu’ils voient tous les jours, et les mettent dans leurs tableaux sans s’inquiéter de la vraisemblance ; tout est pour le plaisir des yeux, rien pour celui de la faculté raisonnante. L’œil passera des tons simples de cette chair ample et saine aux riches teintes noyées du paysage, comme l’oreille passe de la mélodie à l’accompagnement. Les deux sont d’accord, et l’on sent en allant de l’un à l’autre un plaisir qui continue un plaisir du même ordre. Dans son autre tableau, les trois Grâces, lorsqu’on a regardé la première, son beau visage paisible, le diadème d’or semé de perles qui avance jusqu’au milieu de ses cheveux crêpelés, et ces blonds cheveux dont les ondes de soie retombent sur le col jusqu’à la robe,