Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord et uniquement une religion qui parle ! Cette cathédrale parlait tout entière aux yeux, dès le premier regard, au premier venu, à un pauvre bûcheron des Vosges ou de la Forêt-Noire, demi-brute engourdie et machinale, dont nul raisonnement n’eût pu percer la lourde enveloppe, mais que sa misérable vie au milieu des neiges, sa solitude dans sa chaumine, ses rêves sous les sapins battus par la bise, avaient rempli de sensations et d’instincts que chaque forme et chaque couleur réveillaient ici. Le symbole donne tout du premier coup et fait tout sentir ; il va droit au cœur par les yeux sans avoir besoin de traverser la raison raisonnante. Un homme n’a pas besoin de culture pour être touché de cette énorme allée avec ses piliers graves régulièrement rangés qui ne se lassent pas de porter cette sublime voûte ; il lui suffit d’avoir erré dans les mois d’hiver sous les futaies mornes des montagnes. Il y a un monde ici, un abrégé du grand monde tel que le christianisme le conçoit : ramper, tâtonner des deux mains contre des parois humides dans cette vie ténébreuse parmi les vacillements de clartés incertaines, parmi les bourdonnements et les chuchotements aigres de la fourmilière humaine, et pour consolation, apercevoir çà et là dans les sommets des figures rayonnantes, le manteau d’azur, les yeux divins d’une Vierge et d’un petit enfant, le bon Christ tendant ses mains bienfaisantes, pendant qu’un concert de hautes notes argentines et d’acclamations triomphantes emporte l’âme dans ses enroulements et dans ses accords.