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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/300

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comme un voile fragile et temporaire, misérablement interposé entre Dieu et l’âme, pour laisser entrevoir çà et là par ses déchirures le monde surnaturel, seul solide et subsistant. On avait pris confiance en la force et en la raison humaine ; on commençait à sentir la stabilité des lois naturelles ; on jouissait de la demi-protection établie par les monarchies régulières ; on goûtait avidement le bien-être que toutes les sources versaient à flots. La santé et la vigueur étaient revenues, et les muscles bien nourris, le cerveau équilibré, la chaude et rouge ondée de la vie abondamment épandue dans les veines, répugnaient à la fièvre mystique, aux douloureuses visions, aux angoisses et aux élancements extatiques que la maigreur du jeûne et le trouble des nerfs surexcités avaient produits. Il fallait que la religion s’accommodât à la nouvelle condition des hommes ; elle était forcée de se tempérer, de retirer ou d’alléger la malédiction qu’elle avait jetée sur la terre, d’autoriser ou de tolérer les instincts naturels, d’accepter ouvertement ou par un détour l’épanouissement de la vie temporelle, de ne plus condamner la recherche et le goût du bien-être. Elle se conforma au temps, et au nord comme au midi, chez les peuples germaniques comme chez les peuples latins, on vit insensiblement le christianisme se rapprocher du monde. Le protestant honora l’examen libre, le travail utile, le mariage grave, la vie de famille, l’acquisition honnête de la richesse, la jouissance modérée des contentements domestiques et des aisances corporelles. « Notre affaire, disait Addison, est d’arriver ici-bas à la vie commode et là-haut à la vie heureuse. » Le jésuite atténua la redoutable doctrine de la grâce, tourna les prescriptions rigides