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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/315

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l’engageant et inépuisable roman des aventures amoureuses s’emmêle dans leur esprit comme les senteurs trop fortes des roses innombrables amoncelées autour d’eux en bouquets et en buissons. Dans cette volupté universelle, leur cœur se noie. Que peuvent-ils faire de mieux, et que leur reste-t-il encore à faire ? L’énergie virile s’est dissoute ; sous la minutieuse tyrannie qui interdit tout essor à la pensée et à l’action, l’homme s’est efféminé ; il ne sait plus vouloir, et ne songe plus qu’à jouir. Aux genoux d’une femme, il oublie le reste ; une robe ondoyante qui traîne suffit à ses rêves. En revanche, son âme affaissée a perdu tout accent noble et mâle ; parce qu’il ne veut plus qu’aimer, il ne sait plus aimer : il est à la fois doucereux et grossier, il n’est plus capable que de descriptions licencieuses ou d’adorations fades ; il n’est plus qu’un galant de cabinet et un domestique de boudoir. Avec son sentiment, sa parole s’est gâtée. Il délaye son idée et la charge d’affectation, il abonde en exagérations et en concetti, il s’est fait un jargon avec lequel il bavarde. Pour comble, il est hypocrite ; il met en tête de ses chants les plus risqués une explication savante, afin de prouver que ses indécences sont morales et pour désarmer la censure ecclésiastique, dont il a peur. Amour profane, amour sacré, tout tombe au même niveau avec le dix-septième siècle, et, dans le Bernin comme dans Marini, la grâce maniérée et abandonnée laisse apercevoir l’abaissement de l’homme exclu de la vie virile et réduit au culte des sens.

Nous avons achevé la journée aux jardins du Quirinal, qui ont été bâtis par un pape du temps, Urbain VIII. Ils sont sur une colline, et s’étagent depuis le sommet jusqu’au bas de la pente ; il nous semblait nous pro-