Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/389

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eût vu les yeux clairs de la déesse ; au fond de cette gorge, sous les pins éternels et la retraite inviolée des chênes séculaires, le lac luisait tragique et chaste, et son onde métallique, avec ses reflets d’acier, était le « miroir de Diane ».

Au retour, quand on a remonté le dos sinueux de la colline, on aperçoit la mer comme une plaque d’argent fondu qui lance des éclairs. La plaine interminable, vaguement diaprée par les cultures, s’étend jusqu’au rivage, et s’arrête cerclée par la bande lumineuse. Puis on suit des allées de vieux chênes entre lesquels s’épandent des buis et le petit peuple toujours riant des arbustes verts ; on ne se lasse pas de cet été immortel auquel l’hiver ne peut toucher. Tout d’un coup, sous les pieds, du haut d’une croupe, on aperçoit le lac d’Albano, grande coupe d’eau bleuâtre comme celui de Nemi, mais plus large et dans une plus belle bordure. En face, au-dessus des coteaux qui forment la coupe, se dresse le Mont-Cavi, sauvage et roussâtre, comme un monstre antédiluvien parent des Pyrénées et des Alpes, seul, âpre au milieu de ces montagnes qui semblent dessinées par des architectes, coiffé bizarrement de son couvent de moines, tantôt sombre sous l’obscurité des nuages, tantôt subitement éclairé par une percée de soleil et souriant avec une gaieté farouche ; — un peu plus bas que lui, Rocca di Papa, échelonnée sur une montagne voisine, toute blanche comme une ligne de créneaux, et rayant de ses maisons suspendues l’air orageux et menaçant ; — tout en bas le lac dans son cratère avec sa couleur d’étain, immobile et luisant comme une plaque d’acier poli, hérissé çà et là par la brise d’imperceptibles écailles, étrangement