Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Avignon chez le roi de France. Alors, par jalousie et besoin d’indépendance, les autres États feront des antipapes, ou tout au moins des patriarches distincts, comme celui de Saint-Pétersbourg et celui de Constantinople ; voici venir les schismes, et vous n’avez plus d’Église catholique. — Vous n’avez plus même d’Église indépendante. Sous la main d’un prince, un patriarche, un pape même devient un fonctionnaire ; on le voit bien à Saint-Pétersbourg, on l’a bien vu en France sous Philippe le Bel et Philippe VI ; quand Napoléon voulait établir le pape à Paris, c’était pour en faire un ministre des cultes, très-honoré, mais très-obéissant. Notez que les gouvernements en Europe, surtout en France, ont déjà la main dans toutes les affaires ; que sera-ce s’ils la mettent encore dans toutes les consciences ? Toute liberté périt, l’Europe devient une Russie, un empire romain, une Chine. — Enfin le dogme lui-même est mis en danger. Tirer le pape de son État comme une plante de sa serre chaude, c’est le livrer, et le dogme avec lui, aux suggestions des idées modernes. Le catholicisme, étant immuable, est immobile ; il faut à son chef un pays mort, des sujets qui ne pensent pas, une ville de couvents, de musées, de ruines, une pacifique et poétique nécropole. Imaginez ici une académie des sciences, des cours publics, les débats d’une chambre, de grandes industries florissantes, la vive et universelle prédication d’une morale et d’une philosophie laïques : croyez-vous que la contagion n’atteindra pas la théologie ? Elle l’atteindra ; peu à peu on adoucira, on interprétera les dogmes, on laissera tomber les plus choquants, on cessera d’en parler. Regardez la France, si bien régie, si obéissante au temps de Bossuet : par