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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/409

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d’or et aussi la fraise du temps de Philippe II. Enfin la procession défile : chaque personnage blanc représente un apôtre, et tient une baguette enguirlandée de jaune, qui figure une branche de buis ; d’autres sont noirs, d’autres violets, d’autres rouges ; les derniers sont les évêques tout luisants dans leurs chapes damasquinées ; plusieurs sourient, regardent ou causent. Au fond de l’église, derrière le grand baldaquin de bronze, on démêle les génuflexions, les postures, tous les restes des anciennes cérémonies symboliques, si peu appropriées au temps présent. Sur les flancs, dans les deux grandes estrades, les femmes en noir, leur voile noir sur la tête, leur Murray à la main, manient leur lorgnette. On se plaint que la cérémonie soit incomplète. Le pape a un érysipèle qu’on a ouvert ; il en sort beaucoup d’eau, il n’est pas certain qu’il puisse officier à Pâques ; on détaille toutes les circonstances médicales. Nul intérêt ou sympathie véritable ; pour ce public, c’est le premier acteur qui manque, et son absence fera tort à la représentation. Les gens causent, se saluent, se promènent comme dans un foyer d’opéra. Voilà ce qui reste des glorieuses pompes qui, au temps de Boniface VIII, attiraient les pèlerins par centaines de mille : une décoration qui n’est plus qu’une décoration, une cérémonie vide, un sujet d’étude pour les archéologues, de tableaux pour les artistes, de curiosité pour les gens du monde, un amas de rites où tous les siècles ont apporté leur part, semblable à cette ville elle-même, où la foi vive et l’émotion spontanée du cœur ne trouvent plus d’objet qui leur corresponde, mais où se rassemblent les peintres, les antiquaires et les touristes.