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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/417

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met d’ordinaire la Vierge ou le Christ, est la chaire de Saint-Pierre ; c’est elle qui est la patronne du lieu et la souveraine. Les mots officiels complètent l’explication ; on appelle le pape Sa Sainteté, Sa Béatitude ; on a l’air de croire qu’il est déjà dans le ciel.

Presque tous les mausolées de papes sont frappants, surtout celui de Paul III par Della Porta. Deux figures de Vertus demi-couchées sur son tombeau déploient leurs beaux corps avec des attitudes hardies ; la vieille songe avec une gravité superbe et fière ; la jeune a la riche beauté, la tête spirituelle et sensuelle, les cheveux ondés, la petite oreille des figures vénitiennes. Elle était presque nue, on l’a habillée depuis ; ce passage de la sculpture naturelle à la sculpture décente marque le changement qui sépare la Renaissance du jésuitisme[1].

Je ne sais pas pourquoi Stendhal loue si fort le mausolée de Clément III par Canova : ce sont des figures de Girodet ou de Guérin, fades ou qui posent. À cet égard, les tombeaux récents sont instructifs. Plus un monument se rapproche de notre temps, plus ses statues prennent une expression spiritualiste et pensive ; la tête usurpe toute l’attention, le corps se réduit, se voile, devient accessoire et insignifiant. Considérez tour à tour, par exemple, le tombeau de Benoît XIV, mort au siècle dernier, et tout à côté les mausolées de Pie VII et de Grégoire XVI : sur le premier siègent ou s’agitent de belles femmes encore saines et fortes, bien posées et d’un vif mouvement ; sur les deux autres, les Vertus sont des squelettes soigneusement ratissés, habillés et inté-

  1. Les plaintes d’un célèbre catholique français ont dernièrement amené une recrudescence de pudeur. On a dépense 35 000 francs en chemises de tôle pour les anges et les saints.