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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/49

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rieusement ces vastes machines qu’on appelle une constitution ou une église, de chercher des jouissances de vanité ou de luxe : on n’a qu’à regarder, à se laisser vivre ; on a toute la fleur de la vie avec un regard.

J’étais assis sur un banc ; je voyais le soir gagner, les teintes s’effacer, et il me semblait que j’étais dans les Champs-Élysées des anciens poëtes. Les formes élégantes des arbres se dessinaient dans l’azur clair. Les platanes dépouillés, les chênes nus, eux-mêmes, semblaient sourire. La sérénité délicieuse du ciel, rayé par le fin treillis de leurs branches, se communiquait à eux. Ils ne paraissaient point morts ou engourdis comme chez nous, mais assoupis, et, sous l’attouchement de cet air tiède, prêts à entr’ouvrir leurs bourgeons, à confier leurs pousses au printemps voisin. Çà et là une étoile s’allumait, la lune commençait à verser sa lumière blanche. Les statues, plus blanches encore, semblaient vivantes dans cet aimable jour mystérieux et nocturne. Des groupes de jeunes femmes dont les robes ondulaient légèrement avançaient sans bruit, comme des ombres heureuses. Il me semblait que j’assistais à l’antique vie grecque, que je comprenais la finesse de leurs sensations, que l’harmonie de ces formes effilées et de ces teintes effacées suffirait à m’occuper toujours, que je n’avais plus besoin de coloris ni de splendeur. J’entendais réciter les vers d’Aristophane ; je revoyais son jeune athlète, chaste et beau, content, pour tout plaisir, de se promener, une couronne sur la tête, parmi les peupliers et les smilax en fleur, avec un sage ami de son âge. Naples est une colonie grecque, et plus on regarde, plus on sent que le goût et l’esprit