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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/51

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crassées de poussière ancienne, jonchées d’écorces d’oranges et de pastèques, de restes de légumes, de débris sans nom ; la foule s’entasse, noire et grouillante, dans l’ombre palpable, au-dessous de la lande claire du ciel. Tout cela remue, mange, boit, sent mauvais ; on dirait des rats dans une ratière : c’est l’air épais, la vie débraillée et abandonnée des lanes de Londres. Par bonheur, ici le climat est favorable aux galetas et aux guenilles.

Parfois, au milieu de ces taudis, s’élève l’encoignure énorme, la porte monumentale d’un ancien hôtel ; on aperçoit par une ouverture de larges escaliers à balustres qui montent et s’entre-croisent, des terrasses intérieures soutenues par une colonnade, les restes de la vie murée et grandiose telle qu’elle apparut sous la domination espagnole. Les seigneurs habitaient là avec leurs gentilshommes, leurs domestiques armés, leurs carrosses, quêtant des pensions, donnant des fêtes, assistant aux cérémonies, seuls apparents, seuls importants, pendant que dans les ruelles la canaille des marchands et des artisans regardait leurs somptueuses parades, elle-même aussi dédaignée et aussi piteuse que jadis le troupeau des serfs tolérés autour du donjon féodal.

Quantité de moines trottent dans la boue avec des sandales ou des souliers sans bas ; plusieurs ont une tête narquoise et bouffonne comme d’un Socrate croisé de Polichinelle ; la plupart sont vraiment peuple : ils pataugent dans leur vieux froc râpé, et marchent des épaules avec une allure de cocher. Un d’eux se penchait, accoudé à un balcon, pour nous mieux voir, charnu, pansu, joufflu, gros frocard avisé comme en peint Rabelais, bien étalé dans son importance et sa graisse, tel qu’un