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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/83

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raine ressemble aux mânes qui sous la terre, dans des royaumes mystérieux, continuaient une vie terne, invisible, ou bien encore à ces habitants des cercles vides que Gœthe, le grand païen, place autour des êtres réels et tangibles. Là sont les héros, les reines, « ceux qui se sont acquis un nom ou qui ont aspiré à quelque but noble, » l’élite des générations éteintes ; ils y sont descendus « avec une démarche sérieuse, et y siégent près du trône des puissances que nul n’approfondit. Même chez Hadès, ils gardent encore leur dignité et se rangent fièrement autour de leurs égaux, intimes familiers de Perséphone, » tandis que la foule ignorée, les âmes vulgaires, « reléguées dans les profondeurs des prairies d’asphodèles, parmi les peupliers allongés et les pâturages stériles, bruissent tristement comme des chauves-souris ou comme des spectres, et ne sont plus des personnes. » Seules les formes idéales échappent aux engloutissements de la durée, et perpétuent pour nous les œuvres et les pensées parfaites.

On s’oublie parmi tant de nobles têtes, devant ces Junons sévères, ces Vénus, ces Minerves, ces larges poitrines des dieux héroïques, cette sérieuse et humaine tête de Jupiter. Telle tête de Junon est presque virile, comme d’un fier et grave jeune homme. Je revenais toujours à une Flora colossale debout au centre d’une salle, toute vêtue d’un voile qui laisse deviner les formes, mais d’une simplicité austère et hautaine. C’est une vraie déesse, et combien supérieure aux madones, aux squelettes et aux suppliciés ascétiques, saint Barthélémy ou saint Jérôme ! Une pareille tête et une pareille altitude sont morales, non pas à la façon chrétienne : elles n’inspirent pas la résignation douloureuse et mystique ;