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Page:Taine - Voyage en Italie, t. 1, 1874.djvu/91

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plaisir aux yeux ; il est d’une autre couche pensante que nous ; il n’est pas nourri de philosophie et de littérature, il ne songe pas comme Delacroix à exprimer les tragédies de l’âme, ni comme Decamps à exprimer la vie de la nature, ni comme tant d’autres à mettre en tableaux l’histoire et l’archéologie.

La Danaé du Titien. — Celui-ci, certes, n’avait pas d’esthétique et ne songeait qu’à faire une belle créature, une splendide maîtresse de patricien. La tête est bien vulgaire, rien que voluptueuse ; peut-être est-ce une jeune fille de pêcheur, qui a consenti de bon cœur à ne rien faire, à bien manger et à porter un collier de perles. Mais ce ton de chair sur les linges blancs, et ces cheveux d’or qui retombent follement jusque sur la gorge ! Surtout cette main parfaite au bout d’un bracelet de diamants, ces doigts fins, cette taille qui ploie ! — Il y en a une seconde sans nom d’auteur, sur une toile voisine, plus fine, posant la main sur sa tête ; à côté d’elle est une plante fleurie, et dans le fond un paysage de montagnes bleuâtres. Elle est sérieuse, et son sérieux, comme celui des animaux, a une vague expression de tristesse. Voilà ce qui ennoblit cette peinture ; la volupté n’y est jamais indécente, parce qu’elle est toujours naturelle ; l’homme ne descend pas pour y arriver, il est de niveau ; et la grandeur des paysages, la magnificence des architectures, la sérénité du ciel, versent à flots la poésie sur le bonheur. L’homme est complet de cette façon, c’est une des cinq ou six grandes manières de vivre. Celle-ci ne souffre pas de comparaison ; elle est comme elle doit être, achevée et parfaite ; la réduire, l’épurer, c’est lui ôter sa beauté propre, gâter une fleur unique, telle que nulle