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Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/17

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j’ai déjà dit. J’en rapporterai quelques exemples.

À La Rochelle, le bruit étoit parmi la populace qu’un certain chandelier avoit une main de gorre, c’est-à-dire une mandragone ; or, communément on dit cela de ceux qui font bien leurs affaires. Le Roi, qui n’étoit alors que roi de Navarre, envoya quelqu’un à minuit chez cet homme demander à acheter une chandelle. Le chandelier se lève et la donne. « Voilà, dit le lendemain le Roi, la main de gorre. Cet homme ne perd point l’occasion de gagner, et c’est le moyen de s’enrichir. »

Un monsieur de Vienne, qui s’appeloit Jean, étoit bien empêché à faire sa propre anagramme : le Roi le trouva par hasard en cette occupation : « Hé ! lui dit-il, il n’y a rien plus aisé : Jean de Vienne, devienne Jean. »

Une fois un gentilhomme servant, au lieu de boire l’essai qu’on met dans le couvercle du verre, but en rêvant ce qui étoit dans le verre même ; le Roi ne lui dit autre chose sinon : « Un tel, au moins deviez-vous boire à ma santé, je vous eusse fait raison. »

On lui dit que feu M. de Guise étoit amoureux de madame de Verneuil ; il ne s’en tourmenta pas autrement, et dit : « Encore faut-il leur laisser le pain et les p.... : on leur a ôté tant d’autres choses[1] ! »

  1. Il étoit amateur de bons mots : un jour, passant par un village, où il fut obligé de s’arrêter pour y dîner, il donna ordre qu’on lui fît venir celui du lieu qui passoit pour avoir le plus d’esprit, afin de l’entretenir pendant le repas. On lui dit que c’étoit un nommé Gaillard. « Eh bien ! dit-il, qu’on l’aille quérir. » Ce paysan étant venu, le Roi lui commanda de s’asseoir vis-à-vis de lui, de l’autre côté de la table où il mangeoit. « Comment t’appelles-tu ? dit le roi. — Sire, répondit le manant, je m’appelle Gaillard. — Quelle différence y a-t-il entre