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Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/367

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ils se mirent à examiner qui pourroit bien s’acquitter comme il faut de cet emploi ; et après avoir nommé bien des gens, ils ne trouvoient que M. le cardinal capable de cette charge ; de sorte qu’ils persuadèrent au Roi de lui en parler. Sa Majesté le proposa au cardinal, qui d’abord dit qu’il n’étoit déjà que trop occupé, qu’il succomberoit sous le faix, et se fit bien prier pour la prendre. Cette charge rendoit celle d’amiral inutile ou superflue : aussi M. de Montmorency fut bien aise de traiter de celle d’amiral de Ponent. M. de Guise, pour celle de Levant, fit plus de cérémonies, et enfin on lui ôta et l’amirauté et le gouvernement de Provence.

Pour montrer la grande puissance du cardinal, on faisoit un conte dont Boisrobert divertit Son Éminence[1]. Le colonel Hailbrun, Écossois, homme qui étoit considéré, passant à cheval dans la rue Tiquetonne, se sentit pressé. Il entre dans la maison d’un bourgeois, et décharge son paquet dans l’allée. Le bourgeois se trouve là, et fait du bruit ; ce bon homme étoit bien empêché. Son valet dit au bourgeois : « Mon maître est à M. le cardinal. — Ah ! monsieur, dit le bourgeois, vous pouvez ch… partout, puisque vous êtes à Son Éminence. » C’est ce colonel qui disoit en son baragouin que quand la balle avoit sa commission, il n’y avoit pas moyen de l’échapper.

Le bon homme d’Épernon avoit été un des plus

  1. Il lui prenoit assez souvent des mélancolies si fortes qu’il envoyoit chercher Bois-Robert, et les autres qui le pouvoient divertir, et il leur disoit : « Réjouissez-moi, si vous en savez le secret. » Alors chacun bouffonnoit, et, quand il étoit soulagé, il se remettoit aux affaires. (T.)