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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/190

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agréables ou piquantes, d’amer, d’acide, de sucre, d’acide, d’amer. Il est des peuples qui servent les plats dans un ordre à peu près inverse du nôtre, commençant par des sucreries et finissant par le potage ; mais ils sont constamment fidèles à cet ordre et ne l’alternent pas avec notre ordre à nous. Dans un grand dîner, on fait se succéder les vins fins suivant une certaine série que règle la mode, et que la mode intervertit parfois, mais qui, a une époque donnée et dans un même pays, n’est jamais suivie et renversée alternativement dans le cours d’un repas par le maître de maison.

Quand nous nous laissons aller au fil de nos rêveries ou de nos rêves, la succession des images qui s’y enchaînent s’y présente-t-elle parfois retournée ? Non, les songes ne sont pas plus le contre-pied que la reproduction fidèle des impressions de la veille ; ils en sont les broderies fantaisistes, rien de plus, et c’est leur différence avec les créations de l’art qui sont cela et quelque chose en sus.

Mais l’ordre chronologique suivant lequel entrent les images dans la mémoire et les souvenirs d’actes dans l’habitude est-il précisément inverse de l’ordre suivant lequel les unes et les autres en sortent ? En d’autres termes, accorderons-nous à M. Ribot que, conformément à sa loi, la dissolution de la Mémoire (on peut ajouter aussi bien de l’Habitude) est opposée à sa formation, les souvenirs les plus récents disparaissant les premiers, et les plus anciens les derniers ? On sait que les vieillards, oublieux de ce qu’ils viennent de faire ou d’apprendre récemment, se souviennent souvent avec netteté de ce qu’ils ont fait ou appris dans leur jeunesse ; cette inversion sérielle n’est vraie, ce me semble, que dans une