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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/218

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fortes, nos jugements les plus arrêtés et les plus nombreux, mais ces sensations ne sont point d’ordinaire très fortement désirées ou repoussées par elles-mêmes, elles expriment plutôt qu’elles ne causent des plaisirs et des peines un peu intenses. C’est ainsi que le noir attriste moins qu’il ne signifie la tristesse. Mais les odeurs et les saveurs sont par elles-mêmes, et sans nulle signification étrangère, très agréables ou très pénibles. Il faut une culture spéciale et raffinée de la vue et de l’ouïe, chez les peintres et les musiciens ou les amateurs d’art, pour intensifier en eux les plaisirs et les peines de ces deux sens ; mais c’est parce que tels accords de couleurs et de notes, tel dessin, telle mélodie, sont conformes ou contraires à des jugements du goût lentement élaborés par leur éducation artistique qu’ils les ravissent ou les font souffrir. Leurs plaisirs et leurs peines de ce genre sont l’effet plus souvent que la cause de leurs jugements préconçus. Et notons les métaphores olfactives ou gustatives dont ils font usage alors pour rendre leurs impressions : « délicieux, exquis, savoureux », ou bien ; « cela soulève le cœur ». Un homme « de goût » devant un tableau qu’il déguste ou déprécie fait avec la bouche les grimaces mêmes d’un gourmet qui analyse un vin ou un mets nouveau.

Les sens inférieurs sont éminemment affectifs ; et il serait surprenant qu’ayant cette prise particulièrement forte sur le désir, autant dire sur « le cœur », ils eussent joue un rôle individuel et social négligeable. Aussi ont-ils contribué, je le crois, dans une mesure assez grande, et si bizarre que puisse paraître de prime abord cette hypothèse, à la formation de nos idées morales et religieuses. Sans le goût, nous aurions l’idée de