Aller au contenu

Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que nous sommes conscients d’être émus par certains changements apportés ou prévus dans nos relations avec nos semblables. Le plaisir et la douleur physiques ne deviennent joie et tristesse que par nos rapports avec les autres hommes. La tristesse même de la solitude est sociale, car elle atteste le manque d’une société sympathique dont nous n’aurions pas l’idée si nous n’en avions jamais goûté la douceur. L’ennui, par une raison analogue, est inconnu des animaux. Pour l’amour et la haine, pour l’admiration et le mépris, l’explication sociale est évidente. La peur aussi, quand elle nous saisit dans la solitude et les ténèbres, peuple la nuit d’ennemis imaginaires, de fantômes. La terreur n’arrive à son plus haut degré que lorsqu’un animal se trouve en face d’une autre bête qu’il sait prête à le dévorer. L’effroi produit par les agents physiques, par le tonnerre et la foudre - à moins que ces phénomènes ne soient animés et divinisés - n’est rien auprès de celui-là. La colère contre les choses est enfantine et serait inexplicable sans cette prédisposition à l’animisme dont je parlais tout à l’heure. C’est parce qu’il anime et humanise tout que l’enfant est si émotif.

Remarquons, à ce propos, que notre force même de croire et de désirer demeurerait enveloppée et immobile sans l’aiguillon des rapports sociaux. C’est seulement dans les efforts que nous faisons pour la traduire en parole et la rendre communicable à autrui que notre croyance prend la forme d’un jugement affirmatif ou négatif et déploie ses oppositions latentes. Elle ne se déplace, comme nous l’avons dit plus haut, elle ne se transporte d’une sensation à une image, d’une image à une idée, d’une idée à une autre idée, qu’en vue de