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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/257

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La gratitude est le contraire de la vengeance, et ces deux sentiments touchent de très près aux deux qui précédent. Ils ont, dans la vie industrielle et sociale, la même importance relative. La gratitude, individuellement, reste toujours, hélas ! bien inférieure en intensité à la vengeance, malgré le perfectionnement des mœurs. Et, socialement, il en est de même au début de la vie des peuples, où l’on voit la vengeance enfanter le droit criminel, les ordalies, les tortures, le luxe inventif des supplices variés, tandis que la gratitude nationale se borne à quelques couronnes de laurier. Mais dans une société qui se civilise, la gratitude collective a des manifestations qui atteignent et bientôt dépassent en éclat dans la vie journalière celles de la vengeance collective réservée aux jours d’émeute. Les apothéoses des grands bienfaiteurs, les statues qu’on leur érige, les cérémonies du Triomphe romain, les funérailles nationales des modernes, commencent par éclipser ce qui leur fait pendant, les exécutions capitales, les lynchages, les fusillades d’otages, et finissent par leur survivre.

La haine s’oppose à l’affection, l’antipathie à la sympathie, l’envie à la bienveillance. — Mantegazza et Ribot regardent la haine et l’envie comme l’arrêt du développement de la colère, qui serait leur source animale. Il est certain que la colère précède la haine et l’envie ; les animaux inférieurs ne haïssent pas ; aucun animal, même supérieur, n’envie ; tous sont susceptibles de fureur. Mais la haine arrête la colère comme le bief arrête le ruisseau, pour le ramasser ; elle est de la colère emmagasinée et consolidée. L’envie est de la haine amortie et masquée. Si la haine n’est pas un sentiment élémentaire, l’amour