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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/279

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émotions contrastent fort, l’une exaltant le fidèle que l’autre déprime. Les moyens physiques mis en œuvre par les croyants pour faire naître ou renforcer en eux ces deux états forment une antithèse assez frappante : d’une part, les austérités, les macérations effrayantes de l’Inde et de l’Europe du Moyen Âge ; d’autre part, les danses religieuses, les orgies des bacchantes, les processions, la musique, l’ivresse, les procédés d’extase. Mais il est à remarquer que cette opposition presque symétrique va se dissymétrisant à mesure que le sentiment religieux évolue dans le sens de l’amour aux dépens de la peur. Les mystiques, précurseurs de cette évolution consommée, peignent avec force cette orientation décidément amoureuse de la piété. Leurs écrits sont remplis de plaintes aussi, il est vrai, mais non de craintes, et ce dont ils se plaignent, c’est seulement d’avoir à traverser des états de langueur, de sécheresse, d’insuffisante tendresse, pour parvenir à leurs cimes de joie aiguë et inénarrable, où leur âme, qui se dédouble dans sa solitude, est persuadée de s’unir délicieusement avec l’âme universelle et, par elle, en même temps avec toutes les autres âmes fraternelles. Les hymnes liturgiques de la peur, le Dies irœ, dies illa Solvet sceclum in favilla, ne s’entendent plus que dans le lointain, comme un murmure, quand les cantiques mystiques et délirants de l’amour ont commencé à retentir : Dilata me in amore ut discam interiori cordis ore dégustare quam suave sit amare et in amore ltquefteri et natare.

— En résume, il résulte de toute notre étude sur les sentiments que, si leurs oppositions deux à deux sont bien