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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/291

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croyances et de leurs désirs, est un des traits de caractère les plus innés et les plus constitutifs ; on naît meneur ou mené, professeur ou disciple, maître ou sujet. Bien que le nombre des menés soit toujours très supérieur à celui des meneurs, c’est le groupe de ceux-ci qu’il est essentiel de subdiviser surtout. Car ce type comporte des variétés, toutes les variétés de missionnaires et d’ambitieux, d’apôtres et de conquérants, qui se sont vus : le dogmatique et le persuasif (Bossuet et Fénelon), le despote et le diplomate (Napoléon et Talleyrand) ; le grand convertisseur de foules, à la Saint-François Xavier, dont les conversions durent peu, et le convertisseur obscur, plus profond, d’âmes individuelles et choisies, à la façon des directeurs jansénistes ; le grand conducteur des masses, mieux doué pour une fascination collective que pour une action personnelle ; et l’intrigant, plus propre à conduire les hommes un à un, isolement, qu’à les gouverner ensemble. Ces diverses variétés, et bien d’autres, qu’une race donnée produit toujours, mais très inégalement, sont, en outre, très inégalement favorisées par les circonstances historiques ; et de la nature de celles qui triomphent dans la continuelle lutte des meneurs pour la direction des menés, dépend le sort des peuples.

On voit pourquoi la manière de sentir, d’être affecté, indépendamment de tous jugements et de tous désirs liés aux impressions du sens et du cœur, importe moins. C’est que les affections, comme telles, ne sont pas en général communicables. Elles le sont cependant, par exception, à raison de leur intensité et de leur expressivité remarquable, chez les artistes qui, peintres, musiciens, poètes, tendent et parviennent