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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/320

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placent invariablement le verbe à la fin de la phrase comme en allemand, et non au milieu comme en français et en anglais. Mais le fait est-il exact ? Les conditions mentales des sourds-muets sont, d’ailleurs, si exceptionnelles que leur exemple n’aurait rien de décisif. En revanche, on n’a pas tort de penser généralement que l’ordre français et anglais est le plus logique, et c’est sans doute pour cela qu’il est le plus contagieux.

Nous ne savons au juste par quelle série de changements accumulés s’est formée la conjugaison ou la déclinaison compliquée des anciennes langues ; nous savons plutôt par quelles étapes s’est opérée la simplification de leur conjugaison ou la perte complète de leur déclinaison. Y a-t-il lieu de supposer que ce travail de décomposition relative a été l’inverse du travail de croissance caché dans la nuit des âges antérieurs à toute histoire ? Pas le moins du monde. La déclinaison s’est perdue soit parce que ses délicates distinctions ont cessé d’être perceptibles à des esprits grossiers, soit parce qu’elles ont trouvé de nouveaux moyens d’expression. Il est à croire que les formes de la déclinaison, quand elles ont apparu, ne se sont pas substituées à aucun procédé antérieur propre à exprimer les mêmes rapports, et qu’elles ont apparu sous l’empire d’un esprit non pas inverse, mais profondément différent de l’esprit qui les a fait disparaître. En naissant, elles ont répondu à un besoin d’esthéticisme verbal, qui devait régner à des époques préhistoriques où, en l’absence de tous autres plaisirs spirituels, la parole était l’art humain par excellence, merveilleux et spirituel bijou qu’on ne se lassait point de ciseler.