Aller au contenu

Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/402

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et non en public. Si les contradictions d’ordre politique entre les citoyens pouvaient ne se produire qu’à huis clos, à des dates et en des lieux différents, sans que les partisans d’une même opinion eussent connaissance de leur conformité d’idée, elles resteraient elles-mêmes paisibles et inoffensives, comme la plupart des contradictions d’ordre esthétique ou juridique. Mais, par suite des discours du forum dans l’Antiquité, des articles de journaux dans les temps modernes, les questions politiques, comme je l’ai déjà fait observer dans un autre chapitre, au lieu de se présenter pêle-mêle, confusément, sont posées chacune à son tour et à tout le monde à la fois[1]. De là le caractère particulièrement dangereux des dissidences politiques, alors même qu’elles ont trait à des objets frivoles ou abstraits, peu propres en elles-mêmes à toucher fortement le cœur des hommes. Si, parmi les questions politiques, les questions internationales sont la source habituelle des guerres, c’est qu’il leur est essentiel, des le premier moment où elles naissent, de s’imposer aux citoyens pris en masse, jamais aux citoyens ut singulis.

On va me dire que tout cela démontre l’inévitable nécessité de la guerre dans beaucoup d’occasions, et dans des occasions qui doivent devenir plus impérieuses, sinon plus nombreuses, au cours de la civilisation : n’est-ce pas les engins

  1. Tout ceci suppose qu’il ne s’agit pas d’une nation soumise à un autocrate qui déclare une guerre par pur caprice. Le cas est d’ailleurs fort rare, car, même dans les monarchies les plus absolues, le roi ne fait que se conformer aux vœux, sinon de son peuple, au moins de sa noblesse ou de son entourage, en se lançant dans une expédition militaire ; et il s’y décide parce que, dans ce public spécial, les partisans de Topinion qui a motivé la guerre se sont connus, se sont parlé et l’ont emporté ainsi sur les partisans de l’opinion contraire.