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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/404

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il y manque l’élément essentiel. Supposez qu’avant ce jour, il n’y ait jamais eu de guerre en Europe, ou bien que, par une sorte d’amnésie universelle, nous venions à oublier tout à coup toutes nos batailles d’autrefois ; assurément, dans cette hypothèse, la presse et les chemins de fer auraient beau centraliser, attiser les griefs des partis et des peuples, jamais personne n’imaginerait que le meilleur moyen, l’unique et nécessaire moyen de mettre fin à cette discorde, de faire régner l’unanimité, fût de rassembler de part et d’autre des millions d’hommes jeunes, valides, gais, sans nulle haine réciproque, et de les forcer à s’entr’égorger. On n’imaginerait pas plus cette monstruosité que deux députés n’auraient l’idée, après un échange d’injures parlementaires, d’aller se tirer des coups de pistolet pour pouvoir se serrer la main après, s’ils ne savaient que c’est là un vieil usage. Nul exemple ne montre mieux de quels poids le passé pèse sur nous, quelle est à notre insu sur notre conduite l’oppression des précédents. La guerre est une survivance comme le duel. On se bat parce qu’on s’est battu, et il n’est peut-être rien de plus fort à dire contre la guerre que cette perpétuité du levain belliqueux qu’elle laisse après elle, et qui montre l’inanité de cette prétendue solution. La guerre serait impossible, inimaginable, inconcevable, si elle n’était un souvenir devenu un préjugé universel, d’autant plus tenace que plus général, comme tous les préjugés, en dépit de son absurdité manifeste. Encore le duel, à force d’adoucissements, est-il à présent un procède de réconciliation, doublé de réclame, assez pratique après tout et pas trop dangereux, aux applaudissements de la galerie. Et il en était de même de la guerre aussi, au