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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/410

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plus essentiel et tend toujours à réapparaître sous l’étouffement des instincts cruels et péniblement acquis, la bonté, la sympathie, l’amour. Mais cette perversité accidentelle et lamentable de la vie, cette dépravation sanguinaire, était-elle inévitable et est-elle incurable ? Non, l’apparition de l’homme, et, auparavant, de toutes les autres espèces sociales, ne serait-elle pas l’indice d’un séculaire effort de la vie pour se relever de sa chute, après une longue suite d’expiations douloureuses, par l’établissement lent de cet ordre social universellement pacifique où tend l’humanité ?


Avouons-le, la nécessité, je ne dis pas seulement de la guerre, mais aussi de la concurrence, de la lutte destructive, sous toutes ses formes, — si elle était démontrée, — serait la preuve qu’il n’existe pas de direction générale des phénomènes, c’est-à-dire pas de législation de l’univers. Car, appeler lois, comme nous le faisons, les séries de répétitions et les amas de similitudes que présentent les actes individuels à partir d’un acte initial et victorieux dans sa lutte avec d’autres entreprises vaincues, n’est-ce pas, à vrai dire, une antiphrase ? Est-ce que ces soi-disant lois ne sont pas un nom donné à l’absence même de lois, à l’anomie du monde ? Nous n’avons le droit d’appeler loi qu’un ordre supérieur, qui, obéi, exécute, supprime la lutte entre les gouvernés et la remplace par la convergence des efforts ou du moins par leur délimitation précise et respectée. L’ambition universelle des éléments, leur lutte nécessaire par conséquent, ou leur accord, quand il a lieu, résultent uniquement de la victoire de l’un d’eux et de ses empiétements sur ses rivaux : est-ce que ce grand fait, qui paraît indéniable, ne serait pas la démonstration navrante de l’athéisme,