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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/414

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sûr qu’elle ait fait le meilleur choix possible, ni même, à vrai dire, qu’elle ait fait son choix. Ces deux chemins étaient : la culture à outrance de l’égoïsme par la guerre, l’anthropophagie, l’esclavage, le despotisme asiatique, et la culture à outrance de la sympathie par la religion, le droit, le commerce, la science, la morale, l’art. Elle n’a pas choisi entre eux, elle a pris tantôt l’un, tantôt l’autre, les unissant et les coupant par des sentiers de traverse. Elle a ainsi masqué sous des institutions adultères, sous des compromis sacerdotaux et superstitieux, ou guerriers et chevaleresques, la divergence radicale de ces deux carrières, et elle a faussé par là le sentiment religieux qui est au fond, essentiellement, non la peur, mais l’amour, l’ouverture du cœur, le besoin d’étendre sans cesse le champ social de la sympathie. La religion primitive, née de l’ancêtre divinisé, puis piété filiale agrandie, source d’une amitié fraternelle étendue aux étrangers, aurait pu être uniquement et toujours ce qu’elle a été souvent et en partie, le grand bien international des hommes, le grand auxiliaire de l’imitation mutuelle qui, sans nulle guerre, les prépare et les pousse à se fédérer, à substituer au morcellement initial des états un vaste Empire final et civilisateur. Que si l’on m’objecte qu’il fallait des rois pour cela et que la guerre seule a fait la royauté, je nie le fait : est-ce que l’origine de la monarchie patriarcale, aussi loin que nous pouvons remonter dans son passé hellénique, par exemple, ne nous apparaît pas comme plus religieuse encore que militaire ? On dit couramment, sans s’apercevoir de la contradiction, que les rois sont nés de la guerre et puis que la guerre est née de la royauté. La vérité est que, s’il n’y avait pas eu de rois chefs, il