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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/425

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scientifiquement, massacrer des milliers d’hommes semblables à vous ! Leur fracasser la tête, les bras, leur déchiqueter le ventre et les poumons avec des éclats d’obus, plus tortionnaires que tous les bourreaux d’Ancien Régime ! En vérité, cela ne peut plus se soutenir ; il faut, pour se faire à cette idée, ne s’être jamais représenté un champ de bataille moderne, être absolument dépourvu d’imagination visuelle. Et, comme la proportion des visuels ou du moins la culture de la mémoire et de l’imagination visuelles tendent à s’accroître avec le progrès de la vie civilisée, il ne me paraît pas douteux que la force des répulsions même physiques, du soulèvement général du cœur provoqué par la guerre, ne doive devenir à la longue insurmontable.

Quelle que soit la diversité des changements traversés par la guerre dans les diverses régions du globe, il y a assurément quelque chose d’irréversible dans son évolution générale. Des guerres sauvagement juridiques ou le but est le talion, des guerres anthropophagiques ou le but est d’alimenter les festins des chefs et des dieux, on passe aux guerres esclavagistes ou le but est de domestiquer l’homme après les animaux, puis aux guerres politiques ou aux guerres religieuses, puis aux guerres esthétiques en quelque sorte, ou la guerre est pour la guerre comme au beau temps de la chevalerie, enfin aux guerres industrielles et commerciales. Tout le monde sent bien que nous ne reviendrons plus aux guerres de religion, par exemple. On a renoncé à jamais aux batailles pour contradiction de croyances. L’esprit de tolérance les a rendues impossibles. Est-ce qu’on ne verra pas un jour l’analogue de la tolérance, un certain esprit de patience, de patience dans la