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Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/427

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de services, l’échange ; deux symétries[1] qui se font pendant l’une à l’autre. Mais s’arrête-t-on là ? Non. De moins en moins, dans les pays riches et producteurs, le sentiment du juste est satisfait quand on a reçu autant qu’on a donné ; car, en général, on reçoit bien davantage. Dans une bonne affaire ordinaire de vente et d’achat, de louage, de prêt, les deux parties à la fois gagnent au change, et vont gagnant toujours davantage. Avant tout, on se préoccupe de recevoir autant que ses collègues ou ses pairs ont reçu. L’égalité de traitement entre co-producteurs et entre co-consommateurs, bien plus que l’équivalent des services, répond au nouveau sentiment de la justice. Viendra-t-il un moment ou la maxime « à chacun selon ses besoins » sera prise en considération beaucoup plus que celle des saint-simoniens « à chacun selon ses œuvres » ? C’est bien possible. En tout cas, nous nous éloignons fort, et chaque jour un peu plus, de la notion symétrique de l’Équité. En se raffinant, la justice devient chose très dissymétrique et différenciée. Notre penchant français à la symétrie dans la rédaction de nos Constitutions et de nos Codes a donc quelque chose de rétrograde ou d’attardé.

Remarquons aussi que le problème du juste prix, et, spécialement, du juste salaire, est indéterminé en soi et ne saurait être tranché que par des conventions après débats. Mais, c’est dans ces débats préalables que semble apparaître l’insolubilité rationnelle

  1. Il y a progrès de l’une à l’autre, c’est-à-dire amoindrissement de la symétrie. Les services échangés peuvent être égaux, mais ils sont toujours dissemblables, tandis que les préjudices échangés sont à peu près semblables autant qu’égaux.