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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/155

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La renommée d’Apollonius à contrebalancé longtemps chez les derniers païens celle du Christ ; du temps même de saint Augustin, il s’en trouvait encore pour lui dire que les miracles d’Apollonius valaient ceux de Jésus ; à quoi le saint docteur répondait « qu’après tout, les démons pouvaient opérer certains prodiges qui, sans avoir la réalité de ceux des anges, leur ressemblaient néanmoins en apparence… Quant à ceux de Jésus, ajoutait-il, les Gentils qui s’en moquaient les eussent sans doute reçus pour très véritables, s’il se fût agi d’Apulée ou d’Apollonius. »

Apulée, l’auteur de l’abominable roman qui s’appelle l’Âne d’or, eût été très fâché de voir son nom accolé ainsi à celui du magicien de Tyane ; il nous apprend lui-même, dans son Apologie, qu’accusé de magie, il se défendit d’être lui-même un Apollonius de Tyane, c’est-à-dire un véritable magicien.

La plupart de ceux qui n’ont voulu voir dans l’histoire d’Apollonius qu’une légende fabuleuse, depuis Lucien jusqu’à Louis Figuier, s’appuient sur cette considération, que cette histoire ne repose sur le témoignage d’aucun auteur digne de foi, la Vie d’Apollonius, par Philostrate, la seule source que nous ayons de sa biographie, n’étant, disent-ils, qu’un pur roman, à mettre à côté de l’Âne d’or, d’Apulée. Je regrette, avec M. de Mirville qui a trouvé et dit toute la vérité sur Apollonius, de ranger dans cette catégorie l’illustre défunt évêque d’Angers, Mgr Freppel. Encore celui-ci, comme honteux de son scepticisme, essaie de le pallier en concluant qu’il ne peut s’empêcher de reconnaître sur la figure grimaçante du magicien de Tyane « le reflet d’une puissance surnaturelle, qui se complaît à contrefaire les miracles de Dieu[1]. » Si la vérité sur ce sujet paraissait à l’éloquent professeur de Sorbonne trop délicate et trop scabreuse pour son auditoire académique, j’avoue ne pas avoir les mêmes scrupules, et je ne puis m’empêcher de voir dans Apollonius, non pas un pâle reflet d’une puissance surnaturelle, mais la griffe même de Satan, singeant les miracles du nouvel Évangile, dans le but évident de retenir les âmes dans les erreurs et les turpitudes du paganisme. Ne nous lassons pas de répéter le mot de saint Augustin : « Tout ce qui s’opère de merveilleux et ne se rapporte point au culte du vrai Dieu n’est qu’illusion diabolique. »

Quant à la Vie d’Apollonius par Philostrate, sans que nous la considérions comme parole d’Évangile, et bien qu’écrite seulement au quatrième siècle, elle offre au lecteur judicieux et non prévenu toutes les garanties de sincérité que peut offrir l’ouvrage d’un disciple enthousiaste, travaillant sur des données authentiques, un journal écrit au jour le jour par un compagnon et intime ami du maître, Damis, dont les notes ont passé tout entières, uniquement remaniées pour le style et la forme, dans la rédaction de Philostrate.

  1. Les Apologistes chrétiens au second siècle.