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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/308

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établi et avéré, pour que les juges prononçassent la peine de mort. On en trouvera un exemple frappant dans le cas que je vais citer tout à l’heure, celui du berger Hocque.

Que ces sorts jetés sur les personnes soient assez puissants pour donner la mort à ceux qu’ils atteignent, nous en avons une preuve sans réplique dans un des documents les plus curieux et les moins connus qu’offrent les annales du satanisme, document revêtu de l’autorité du pape Clément VI, et qui, mieux que bien des récits, nous montre : d’un côté, la puissance infernale dont jouissent les adeptes de Satan, et, de l’autre, avec quelle sollicitude le chef de l’Église poursuivait à la fois l’expiation des crimes commis par les sorciers, et la réparation des maux et désastres matériels mêmes, fruits de leurs sortilèges maudits.

Voici le fait :

Au quatorzième siècle, un certain abbé de Saint-Sevin, en Lavedan, avait fait mourir, par art magique, un grand nombre d’habitants de la vallée d’Aspe, voisine de celle de Lavedan, pour se venger sur eux des courses et ravages qu’ils faisaient dans cette dernière contrée. En punition de ce crime diabolique, la terre, les femmes et les bestiaux de Lavedan avaient été frappés d’un châtiment terrible : pendant six années, ils n’avaient porté aucun fruit. Au bout de ces six années, l’expiation étant jugée suffisante, le pape prononça l’absolution de la terre, des habitants et des bestiaux de Lavedan du péché commis par l’abbé-magicien, et il signa la paix entre les deux vallées ennemies, en en statuant les conditions.

Ce document étant fort rare, il convient de le reproduire in-extenso.

Contrat de la Paix faite entre les vallées d’Aspe et de Lavedan par l’ordre du Pape, qui avoit absous la terre, les habitants et les bestiaux de Lavedan, du péché commis par l’abbé de Saint-Sevin, en foisant mourir par art magique grand nombre d’habitants d’Aspe, pour les courses et ravages qu’ils faisoient en Lavedan ; en punition duquel péché, la terre, ni les femmes, ni les bestiaux de Lavedan n’avoient porté aucun fruit durant six années.

Du premier juin 1348

Traduit de l’original qui est en langage Béarnois[1].

Soit chose connue à tous, que comme la terre de Lavedan, d’Arreaigues, eût demeuré six ans sans porter de fruit, ni femme enfant, ni vache veau, ni jument poulain, ni bétail d’aucun poil : à raison de ce que le petit Abbé de Saint-Sevin auroit fait périr les gens d’Aspe, qui avoient fait et faisoient des courses et des ravages en Lavedan, après avoir lu sur un sureau un livre qu’il avoit tiré par art diabolique de Salomon : à cause de quoi les gens du

  1. Cette pièce se trouve dans un ouvrage extrêmement rare qu’un de mes abonnés a bien voulu me communiquer : Essai sur la minéralogie des Monts-Pyrénées, par M. l’abbé P***, grand volume in-4o, publié à Paris par la librairie Didot jeune, quai des Augustins, en 1384, imprimé sous le privilège de l’Académie royale des sciences, à la suite d’un rapport favorable de Lavoisier.