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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/38

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l’amende et à une année d’emprisonnement. Mais elle se défendit elle-même avec beaucoup de fermeté et de talent, et le jugement fut cassé par la cour suprême de Bruxelles.

La mort elle-même donna un démenti à sa science. Elle avait soixante-douze ans lorsqu’elle mourut le 25 juin 1843 ; or, elle avait annoncé qu’elle en vivrait cent-et-un. Quelque temps avant de mourir, dit-on, elle reconnut les erreurs et la vanité de son charlatanisme, et termina sa vie dans les sentiments chrétiens. Elle laissait une fortune de plus de 500.000 francs.

Mlle Lenormand devait nécessairement être classée parmi les cartomanciennes ; mais elle avait plusieurs cordes à son arc, et elle s’est attachée à renouveler plus d’un des procédés que nous avons énumérés. Non seulement elle tirait les cartes, cartes ordinaires, petit, moyen et grand jeu, et faisait les tarots, jeu de cartes beaucoup plus compliqué et offrant, avec ses 78 cartes et ses nombreuses figures, une plus grande latitude aux inventions de la devineresse ; elle pronostiquait encore par le blanc d’œuf, recette qu’elle prétendait tenir de Cagliostro, puis par le marc de café, devenu depuis d’un si fréquent usage chez nos sorcières de haut et de bas étage ; elle pratiquait aussi l’alectromancie et la captromancie, cette dernière, en jetant une goutte d’eau sur une glace de Venise. Enfin, elle donnait des horoscopes, ou thèmes généthliaques, suivant les enseignements des vieux astrologues. Un horoscope, écrit en règle, coûtait 400 francs chez Mlle Lenormand.

Aujourd’hui, les tireuses de cartes sont en nombre considérable, qui va sans cesse en augmentant, ce qui prouve que le métier est lucratif. Triste signe de l’influence de la superstition en ce siècle qui se prétend éclairé et où tant de personnes se livrent au prince des ténèbres. Plus nous allons, plus Satan gagne du terrain. Il est temps de réagir.

La sibylle parisienne la plus réputée à cette heure est une dame Duchâtellier, dont la loquacité intarissable est tenue pour un fleuve d’oracles par la formidable quantité de gogos qui vont la consulter. J’avais chargé un de mes amis de voir cette cartomancienne, à titre de client, afin de vérifier s’il y a quelque diablerie dans son jeu. Du rapport qui m’a été fait, il résulte que Mme Duchâtellier semble convaincue de l’infaillibilité de son art. Elle est accueillante avec une sorte de bonhomie non affectée, d’une intelligence plutôt au-dessous de la moyenne qu’au-dessus, ce qui ne l’empêche pas de savoir bien conduire ses petites affaires et faire venir l’eau à son moulin ; mais elle est babillarde à vous casser la tête ; ce n’est pas une créature humaine, c’est un robinet. Comme on le pense, ce sont des banalités qu’elle débite ainsi à n’en plus finir, et les badauds prennent ce flux de paroles pour un langage inspiré, pour des prophéties ! Toutes les cours d’Europe, m’a-t-on assuré, ont recours à ses lumières magiques ! Voilà où nous en sommes. La marotte de la dame Duchâtellier est de trouver une combinaison lui per-