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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/484

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Il exprimait ainsi à sa façon laconique et humouristique cette prétention israélite, qui est devenue, dans notre siècle, le lieu commun obligé de toutes les diatribes juives contre le christianisme : « Jésus-Christ — qui, par parenthèse, était mon cousin, — a prêché l’égalité, etc… »

Les malheurs de sa race et les douloureux souvenirs de son histoire, si vivants encore à cette époque dans le vieux quartier juif de Francfort, sa patrie, « dont les maisons noires semblaient répandre leurs ombres dans son âme », y avaient laissé des impressions ineffaçables. Il avait pour le vieux Rothschild Meyer Amschel, la souche de la dynastie régnante, une vénération presque filiale ; étant encore un petit garçon, il avait reçu sa bénédiction : « Je suis fermement persuadé, dit-il, que je suis redevable à cette bénédiction de Rothschild de n’avoir jamais complètement manqué d’argent dans ma poche, tout écrivain allemand que je suis. » Mais en revanche, il haïssait les fils de toute son âme, bien différent encore en cela de Heine, qui les admirait, parce que, disait-il, il n’y avait pas à ses yeux de promoteurs plus puissants de la révolution. Le baron James lui avait expliqué famillionairement comment, par son système de papiers d’État, il avait rempli partout les premières conditions du progrès démocratique en Europe et frayé en quelque sorte la voie à la démocratie moderne.

Or, c’est Bærne, cet homme si bien fait pour comprendre tout ce qu’il y a de touchant, de mélancolique et de vraiment divin dans l’histoire d’Israël, c’est cet homme que le démon de la révolution et des sociétés secrètes va métamorphoser en un niveleur, un sans-culotte forcené, à l’école de la franc-maçonnerie française. Heine, qui le revit à son arrivée à Paris en 1831, fait de lui ce portrait : « Le peu de chair que j’avais jadis remarqué sur son corps avait alors entièrement disparu ; peut-être s’était-il fondu aux rayons du soleil de juillet, qui lui avaient, hélas ! frappé aussi sur le cerveau. Il était assis ou plutôt logé dans une grande robe de chambre de soie à ramages, comme une tortue dans sa carapace, et lorsque de temps en temps il en faisait sortir, en l’inclinant vers moi d’un air soupçonneux, sa petite tête grêle, j’éprouvais une impression pénible… Sa voix avait un certain tremblotement maladif, et sur ses joues on voyait déjà ces tons d’un rouge cru qui annoncent la phthisie. »

Aussitôt à Paris, Bœrne se mit en relations avec le ban et l’arrière-ban de la démagogie jacobine, s’affilia à tous les conventicules révolutionnaires secrets, s’entoura de tous les conspirateurs étrangers dont il était l’oracle, le juif Lassalle, Ruge, etc., fréquenta et harangua les clubs les plus avancés, et se mit fiévreusement à écrire ses Lettres sur Paris, qui devaient illuminer l’Allemagne, « lettres, dit Heine, d’un tel sans-culottisme de pensée et d’expression, que jamais rien de pareil ne s’était vu en Allemagne. »