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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/509

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lâchement, et sans formes judiciaires, cet homme sur lequel vous n’aviez aucun droit.

« — Mais cet homme était un délateur !

« — Comment le savez-vous ? comment est-ce prouvé ?

« — Mais cet homme était un juif !

« — Qu’importe ? est-ce que la vie d’un juif pèse dans la balance sociale moins que celle d’un autre citoyen ?…

« — Néophyte, oublies-tu que toi-même, il y a quelques heures à peine, tu as, dans un lieu public, exprimé un injuste mépris contre tous les israélites ? Ne te rappelles-tu pas que tu as proclamé bien haut que les juifs de Damas ont assassiné le père Thomas ? À notre tour nous te disons : Comment le sais-tu ? comment est-ce prouvé ?… Tu n’as donc pas droit de te draper dans ta vertu et de venir ici nous parler de prudence et de légalité ; car nous ne frappons qu’un homme, et ta voix imprudente peut provoquer des milliers de meurtres et d’injustices.

« — Vous avez raison, s’écria le candidat ému et troublé ; Dieu est juste et ma punition est fondée.

« — Mais si nous pardonnons et te rendons au monde, nous jures-tu de ne plus donner carrière à tes penchants d’intolérance ?

« — Je le jure de grand cœur !

« — C’est bien ; alors tu es digne d’être accueilli parmi nous : approche de l’autel pour prêter ton obligation maçonnique. »

« Et, comme il s’avançait d’un pas chancelant, une main amie vint le soutenir ; et, comme il levait les yeux pour remercier celui qui lui prêtait ce fraternel appui, il tressaillit et fut sur le point de défaillir, en reconnaissant dans son guide le juif qu’il venait de voir assassiné[1]… »

Rien ne prouve mieux les sympathies profondes des juifs pour la franc-maçonnerie et leur ardent désir d’y jouer un rôle actif, que les circulaires adressées par eux aux loges de Berlin, qui s’opiniâtraient à les exclure de leur sein. Ces suppliques, au reste, étaient chaudement appuyées par les protestations qui de toutes les loges de France et d’Angleterre s’élevaient en leur faveur contre ce qu’elles appelaient « un chef-d’œuvre de tartufferie et d’hypocrisie. » Les loges françaises accueillaient avec enthousiasme ceux des israélites que repoussaient les loges de Berlin. C’est ainsi qu’en 1863 la loge Les Frères-Unis Inséparables, de Paris, votait par acclamation l’affiliation de Meyerbeer, repoussée par les loges prussiennes.

Citons quelques passages caractéristiques de ces plaidoyers des juifs pro domo ; il semble, à les entendre, que la maçonnerie est déshonorée, tant que ces derniers sanctuaires de l’Art-Royal leur resteront fermés : ils parlent en gens de la maison, et en maitres.

  1. Archives israélites de France. tome V (1844).