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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894, tome 2, partie 1.djvu/79

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à des orgies avec le baron de Planta, buvant à flots le vin de Tokay de son hôte.

La baronne d’Oberkirch, qui le vit à cette époque chez le cardinal, en constatant l’influence qu’il exerçait sur celui-ci, plus naïf que coupable, nous peint Cagliostro ainsi : « Il n’était pas absolument beau ; mais jamais physionomie plus remarquable ne s’était offerte à mon observation. Il avait surtout un regard d’une profondeur presque surnaturelle ; je ne saurais rendre l’expression de ses yeux ; c’était en même temps de la flamme et de la glace ; il attirait et il repoussait. » Ces dernières lignes sont à méditer.

Mais, pour achever de rappeler sa physionomie, je citerai encore ce portrait, tracé par le comte Beugnot, qui rencontra Cagliostro chez la comtesse de La Motte : « Il était d’une taille médiocre, assez gros ; il avait le teint olive, le cou fort court, le visage rond, orné de deux gros yeux à fleur de tête et d’un nez ouvert et retroussé. Il avait tout l’extérieur et l’attirail d’un charlatan et faisait sensation, surtout sur les dames, dès qu’il entrait dans un salon. Sa coiffure était nouvelle en France ; il avait les cheveux partagés en plusieurs petites cadenettes qui venaient se réunir derrière la tête et se retroussaient dans la forme de ce qu’on appelait alors un catogan. Il portait ce jour-là un habit à la française, gris de fer, galonné en or, une veste écarlate brodée en large point d’Espagne, une culotte rouge, l’épée engagée dans les basques de l’habit, et un chapeau bordé avec une plume blanche ; des manchettes de dentelle, plusieurs bagues de prix, et des boucles de souliers assez brillantes pour qu’on les crût de diamants fins. »

Tel était l’homme. Arrêté le 23 août 1755, accusé par Mme de la Motte, d’avoir reçu le fameux collier des mains du cardinal de Rohan, et de l’avoir dépecé, enfermé de ce chef pendant neuf mois et demi à la Bastille, il fut renvoyé de l’accusation par arrêt du Parlement, mais dut quitter Paris dans les vingt-quatre heures. »

Mais ce qui nous intéresse, ce sont surtout les prestiges de ce bizarre personnage, qui sut, pendant plusieurs années, concentrer l’attention publique sur lui d’une manière exclusive.

Personne n’ignore qu’il joua un grand rôle dans la franc-maçonnerie. Initié à plusieurs rites, il en fonda un sous le titre de Rite Égyptien, qui est absolument diabolique. Dans ses loges, il prêchait à ses adeptes ce qu’il appelait la régénération physique et morale de l’homme. Pour se régénérer physiquement, il fallait se soumettre à des jeûnes, à des purgations ; quant à la régénération morale, on l’obtenait censément par des prières et des sacrifices au prétendu Grand Architecte, et Cagliostro disait quand ces sacrifices avaient été agréés par sa divinité. Avec cela, il donnait un grand éclat aux tenues des ateliers de son rite, faisant alterner brusquement les plus vives lumières avec les ténèbres les plus profondes ; il parodiait les cérémonies du