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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/123

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Walder reprit, en s’adressant à moi cette fois, d’une voix forte qui dominait la musique des charmeurs :

— Frère Bataille, si votre courage faiblit, agitez vivement la baguette, et les serpents vous abandonneront aussitôt.

Bien que ma situation fût épouvantable, je mis mon amour-propre à montrer que je n’avais point peur, et je ne bougeai pas.

Une minute, deux minutes, trois minutes encore se passèrent ainsi.

— Frère Bataille, s’écria de nouveau Walder, nous sommes fixés sur votre énergie ; vous êtes libre d’agiter les grelots.

Je m’entêtai à ne pas user de la permission.

Alors, ce fut le frère Hobbs qui prit la parole :

— Assez, assez, mon frère ! cria-t-il. L’épreuve n’a que trop duré. Ne jouez pas avec le danger, nous vous en prions. Débarrassez-vous des serpents.

À la vérité, j’étais à bout de forces ; mon sang se glaçait dans mes veines. Je secouai la baguette de coudrier aussi vivement que je pus. Les cobras, effrayés, se détachèrent subitement de moi, roulant les uns sur les autres ; mais, à peine à terre, ils aperçurent le messager et fondirent sur lui en masse. Brusquement, la musique des charmeurs s’arrêta, et le malheureux, aussitôt mordu par les reptiles, poussa un cri effroyable de douleur, et s’affaissa sur le sol comme un bœuf assommé.

Cinq ou six Indiens qui se tenaient auprès de l’arène, armés de torches, firent irruption, présentant les flammes aux serpents, et les mirent en fuite, ceux-ci se réfugiant dans leurs trous.

Maintenant, le messager se tordait convulsivement. On l’emporta, pour essayer de le sauver, si cela était possible.

Moi, je me tâtais ; j’étais étonné d’être encore vivant. Je quittai l’arène et me rhabillai en un tour de main. Ce fut à qui vint me féliciter. Le frère Walder lui-même me complimenta chaleureusement, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Il parait, en effet, — ce fut lui qui me le dit, — que les visiteurs soumis à l’épreuve des serpents s’empressent, en général, d’agiter la baguette de coudrier, dès qu’ils en savent l’usage et qu’on la leur a mise en main.

On planta des torches enflammées dans l’arène, devant les trous de cobras, pour éviter leur retour ; en outre, on suspendit un moment la séance, afin d’aller prendre des nouvelles du messager.

Il était étendu dans la salle des pas-perdus ; des médecins indiens pensaient ses plaies, le frictionnaient, l’enduisaient de je ne sais quels onguents, lui versaient dans le gosier je ne sais quel cordial.

— Il ne mourra pas, prononça enfin l’un d’eux ; il ne mourra pas, pourvu que notre Dieu le protège !