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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/187

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n’a pas cet inconvénient ; mais aussi les adeptes du Palladium sont bien autrement habiles et bien plus rusés que les francs-maçons ordinaires.

Pour en revenir à la séance du soir, je me promenais donc, assez hésitant, dans le parvis ; mais je n’eus pas, cependant, longtemps à attendre pour être fixé. Le premier Kadosch qui se présenta portait le cordon palladique, en sus des insignes du rite écossais. Tous les membres de cet aréopage étaient théurgistes. Je signai sur le registre des visiteurs, et je revêtis, au grand complet, les décors, qui étaient les marques extérieures de mes hautes dignités. Le chevalier servant d’armes m’annonça ; une députation fut envoyée par le grand-maître pour me recevoir ; les portes du sénat (nom de la salle des séances d’un aréopage, en chambre rouge) s’ouvrirent, et je fus reçu solennellement, avec tous les honneurs de la voûte d’acier.

La séance, à vrai dire, se trouva fort insignifiante ; le programme était banal. Un certain docteur Murray, médecin de la ville ou des environs, fit une conférence assommante sur « la Jérusalem céleste » ; c’était une harangue diabolique, mais confuse et bête. Un fabricant de conserves d’ananas lui donna la réplique.

L’assistance formait un méli-mélo de négociants anglais, allemands, arméniens, juifs, arabes, parsis, hollandais, danois, belges et chinois ; il y avait aussi deux ou trois indiens.

Le plus intéressant de la soirée fut la distribution d’un balustre (nom de tout papier, procès-verbal, circulaire, en réunion de Kadosch), qui invitait les frères du Palladium, présents à Singapore, à assister le lendemain à l’initiation d’une jeune fille du monde. On devait conférer à cette demoiselle les grades d’Élue et de Maîtresse Templière dans une seule séance. L’initiation allait avoir lieu, — on ne devinera jamais où, — à l’un des temples protestants de la ville, un temple presbytérien ! J’en fus stupéfait, en lisant le balustre. Mais ma surprise fut à son comble, quand je lus le nom de la récipiendaire, imprimé en toutes lettres ; c’était miss Arabella D***, la sœur de miss Mary !…

Je savais que bon nombre de protestants, parmi les calvinistes et les presbytériens surtout, sont tout uniment des sociniens honteux, pratiquant dans le mystère la doctrine secrète de Fauste et Lélio Socin, c’est-à-dire inféodés aux vieilles erreurs du gnosticisme, adorant Lucifer ; mais je croyais que cette perversité suprêmement impie s’exerçait en particulier, à domicile seulement, et non en commun, comme un culte collectif ; en tout cas, il ne m’était jamais venu à la pensée qu’un temple, officiellement dédié au protestantisme, pût abriter les réunions d’un Grand Triangle palladique. Pourtant, il en était bien ainsi ; la convocation du balustre ne laissait aucun doute.