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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/238

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des couteaux, des chaînes, des cangues, tout l’arsenal, en un mot, des instruments qui servent, dans ces pays barbares, à donner mille morts aux saints prêtres de Dieu ; et, sur tout cela, des étiquettes dont chacune est un lambeau de chair arraché, ébouillanté, tenaille, dont chacune est une larme de sang. Le cœur se serre horriblement à cette vue.

Mais ce n’est pas tout. Au-dessus, si vous levez les yeux, vous apercevrez dessinés les martyrs conduits au supplice. Vous les voyez jetés en prison, dans des cages, mis à la torture, enfin massacrés ; et pendant que, frémissant, vous regardez, écoutant la voix calme et profonde de votre guide, qui vous détaille les tourments infligés, vous raconte les affres, vous décrit les douleurs, il ajoute, en manière de conclusion, avec une intonation joyeuse :

— J’espère, en ce qui me concerne, partir cette année-ci.

N’est-ce pas que cela est à la fois admirable et effrayant ? admirable, quand on songe à ces héros ; effrayant, lorsque la pensée se porte vers les ennemis de Dieu, leurs bourreaux.

Regardez cet homme, qui sait que ses jours sont comptés, qui d’avance suppute le nombre d’heures qu’il a encore à vivre, et qui a déjà, avec délices, un avant-goût des épouvantables tortures qui lui sont réservées là-bas, des supplices raffinés par lesquels il passera. Il est calme, tranquille, plus heureux que quiconque ; il attend avec impatience son dernier jour de condamné à mort !

Mais voilà, c’est qu’aussi il s’agit de Dieu, et Dieu est vraiment dans l’esprit et le cœur de cet homme. Or, là où Dieu est, il n’y a plus place pour rien autre. La foi brave tout, met au-dessus de tout.

Suivons maintenant, si vous le voulez bien, notre guide dans la chapelle du séminaire, où reposent les corps de deux saints enfants de la maison, morts victimes de la foi.

C’est dans cette chapelle, à trois heures après-midi, le jour de Pâques, qu’après le chapelet, les chants et tout l’office de ce jour solennel, a lieu « le baisement des pieds » qui précède le départ.

Là, debout, adossés contre l’autel, les missionnaires qui vont partir reçoivent de l’assistance cette dernière et sublime marque de respect. Évêques ou archevêques, cardinaux, princes de l’Église, parents, amis ou simples admirateurs inconnus des partants, pères et mères eux-mêmes, tous viennent là s’abaisser devant ceux que Dieu a déjà désignés comme ses saints.

Maintenant, c’est fini ; rien ne retient plus ces vaillants qui quittent le monde civilisé ; ils vont prendre la route des contrées de la barbarie ; et, tandis que la mère étouffe ses sanglots et que le bon vieux père, aux cheveux blancs, reçoit de son enfant, aujourd’hui devenu un saint prêtre de-