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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/250

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Tout auprès des concessions européennes, séparée d’elles par un arroyo plus large et une véritable muraille crénelée, se trouve Tong-Ka-Dou, qui est la ville chinoise, au méandre de rues et de ruelles basses, inaccessibles, inconnues encore des neuf dixièmes des Européens habitant l’endroit, et dans lesquelles à côté de magasins minuscules contenant des trésors de bibelots, se voient des échoppes habitées par des lépreux. Le territoire de Shang-Haï est malsain au plus haut degré ; l’eau n’y est, pour ainsi dire, pas potable ; le choléra et le typhus y règnent à l’état endémique, c’est-à-dire comme maladies normales, particulières à la contrée.

Le pur céleste, le vrai Chinois, grouille à Tong-Ka-Dou ; la, il mange, vit, se reproduit et pue tranquillement son odeur sui generis, que l’on reconnaît entre mille dès qu’on l’a une fois sentie.

Au centre de Tong-Ka-Dou est un lac, dominé par une espèce de kiosque, pourri, délabré, délaissé : sur le lac, des canards nageant en liberté ; autour du lac, semblables à des pingouins sans ailes, assis sur leurs derrières aux pattes estropiées, des lépreux, en chapelet, baignent leurs plaies qui suppurent dans l’eau croupie de cet étang nauséabond. L’odeur du Chinois se dégage là, épaisse, comme d’un foyer, parmi le relent aigre des fritures qui fument dans les échoppes du voisinage et des œufs qui pourrissent, fétides, en tas. L’œuf pourri, nul ne l’ignore, est un des régals préférés du Chinois.


C’est à Tong-Ka-Dou que la légende des sectaires de la San-ho-hoeï place la naissance de leur fondateur ou plutôt le théâtre de ses premiers exploits dans le pays. Avant de passer à la maçonnerie chinoise contemporaine, je veux relater cette légende fort curieuse qui a cours parmi les affiliés, comme la légende d’Hiram chez nos francs-maçons.

Le père de la San-ho-hoeï naquit dans un bourg de la province de Kiang-Sou, en une année de Père chinoise qui correspond à l’an 1248 après Jésus-Christ. Il n’y avait alors, en cet endroit, que de simples huttes éparses en pleine campagne. La localité est située à quelques kilomètres seulement de la ville de Shang-Haï. Quant au personnage, dont les sectaires font un philosophe supérieur même à Koung-fou-tseu, il eut un nom qui se dit de trois façons : Zi-ka, Zis-ka et Su-kia. Ce nom est resté au bourg où il vint au monde ; on l’appelle aujourd’hui encore Zi-ka-wei, c’est-à-dire « village de Zi-ka ». Et, coïncidence bizarre qu’il est impossible de ne pas noter, c’est là précisément que se trouve aujourd’hui la plus vaste et la plus admirable colonie chrétienne du monde entier, colonie fondée au dix-septième siècle par les pères Jésuites, dont l’observatoire et le collège sont universellement connus ; car il n’est