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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/256

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ples de cette partie du monde, un mépris souverain de la mort, qui est comme leur caractéristique, et qui, le dirai-je, est aussi un peu celle du sataniste européen, même français ou parisien. Même, en réfléchissant bien, on en vient à se demander si certains crimes incompréhensibles, dont le but n’est ni le vol ni la vengeance, dont la cause et la genèse sont inexplicables, ne sont pas tout simplement l’œuvre de lucifériens sacrifiant ainsi à leur mépris de la mort et à ce besoin inné de tuer et de massacrer, après avoir martyrisé, instinct cruel qui caractérise sur tous les points du globe cette exécrable secte.

En ce qui concerne les asiatiques, ce fait est patent.

On sait comment, dans l’inde, les suttees (c’est-à-dire les veuves) se brûlent en souriant sur le même bûcher que leur époux, et, à ce propos, je me rappelle encore mon émotion, la première fois que j’assistai à une cérémonie de ce genre ; car ces cérémonies, abolies officiellement par le gouvernement anglais, sont néanmoins tolérées et favorisées en sous-main.

Tandis que l’on achevait de construire le bûcher, pendant les préparatifs de la cérémonie, la suttee causait avec moi et comme si de rien n’était, me demandant des renseignements sur l’Europe et regrettant, disait-elle, que les femmes européennes ne fissent pas comme les asiatiques.

— Enfin, cela viendra, conclut-elle, il faut l’espérer.

Puis, elle ajouta :

— Je vous quitte ; car voilà que l’on m’appelle.

Et, me faisant une gracieuse révérence, elle se hâta, en courant, d’aller au bûcher et d’y monter, avec la même tranquillité que s’il se fût agi de la chose la plus simple du monde.

Sur la façon dont sont faits ces bûchers, je n’apprendrai sans doute rien à un grand nombre de mes lecteurs. On a édifié un amas de bûches entrecroisées de bois d’essences et de matières résineuses, formant une base solide sur laquelle repose le corps de l’époux défunt, à côté duquel se place la veuve. Au-dessus, est une sorte de superstructure, aussi en bois, formant toit ou dôme, sous lequel cadavre et vivant disparaissent.

Dès que la veuve est à sa place, on lui remet une sorte d’arrosoir rempli d’essences, qu’elle verse elle-même, en imbibant ses cheveux, son voile, ses vêtements, s’en inondant, en un mot, afin de mieux flamber.

Cela fait, on lui passe une torche, et elle met elle-même le feu à ses vêtements, pour que ce soit par elle que l’incendie commence et que ce soit son propre corps qui enflamme le bûcher.

Cela est effrayant, n’est-ce pas ?… Eh bien, au milieu des préparatifs, ainsi que pendant qu’elle grille, la suttee sourit, comme si elle n’éprou-