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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/288

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que je ne distinguai pas bien au premier coup d’œil ; c’était une grande caisse en bois blanc. Ils la trainèrent ainsi jusqu’à gauche de l’orient et en avant des degrés. Elle pouvait avoir un peu plus de deux mètres de hauteur, un peu moins de deux mètres de largeur, et environ soixante centimètres de profondeur. C’était, pour ainsi dire, une vaste armoire. Une porte à deux battants y apparaissait, fermée au cadenas, sur laquelle étaient peints en gros caractères chinois, deux mots signifiant « supplices » et « cochon ».

Je ne comprenais pas encore ce qu’il allait se passer.

Le grand-sage et les dignitaires, siégeant à l’orient, se tournèrent vers l’autel du Dragon-Baphomet et lui adressèrent une prière, agenouillés. Après quoi, ils se levèrent. Le grand-sage et deux de ses acolytes se rendirent à la pseudo-sacristie, marchant à la file, d’un pas grave et compassé, les mains jointes et pendantes sur le ventre.

Au bout de quelques minutes, ils revinrent, affublés, sur leurs costumes chinois, de chasubles authentiques d’officiant, diacre et sous-diacre du culte catholique, ainsi que d’étoles et de manipules. Seulement, ces ornements étaient portés à rebours ; la croix de la chasuble, sur la poitrine, au lieu d’être sur le dos ; l’étole, pendant sur le dos et par-dessus la chasuble, au lieu d’être en-dessous ; le manipule, au bras droit, au lieu d’être au bras gauche. Ils n’avaient pas d’aube, mais uniquement les trois ornements que je viens d’indiquer. C’était la dérision voulue, préméditée, la profanation vraiment diabolique.

Mais, au retour de la pseudo-sacristie, ils n’étaient plus trois. Leur procession avait en tête un jeune boy, portant une croix renversée ; en outre, entre le dignitaire revêtu des ornements de diacre et celui déguisé en prêtre officiant, qui fermait la marche, il y avait un cinquième personnage, un Chinois aussi, habillé comme le sont les juges des tribunaux locaux, c’est-à-dire en mandarin de justice.

De leur pas grave et compassé, ils se dirigèrent vers l’occident et se placèrent sur l’estrade qui y était dressée. Ils faisaient ainsi face à l’autel du Dragon. Et voici comment ils s’assirent : le mandarin se mit au milieu, au fond, ayant à sa droite le pseudo sous-diacre et à sa gauche le pseudo-diacre ; sur la gauche, à une table séparée, siégeait le grand-sage, le pseudo-prêtre, comme s’il remplissait les fonctions de ministère public ; quant au jeune boy, il s’accroupit, les jambes croisées, sur l’estrade, en face du grand-sage.

Nous autres, les assistants, nous étions rangés comme à l’ordinaire, dans la salle, en deux séries d’alignements, à droite et à gauche.

Le mandarin, sans se lever, prit la parole en ces termes :

— Vous tous, mes frères, qui êtes réunis dans ce temple de la vérité