Aller au contenu

Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/298

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sa face simiesque ne reflétait ni pensée, ni expression humaine ; seule l’extase s’y lisait, mais basse et rendue bestiale par la petitesse du nez et le prognathisme de sa forte mâchoire aux muscles de fauve, puissants.

Lentement, il traversa la salle, monta à l’orient, et vint se placer en face des trois derniers initiés reçus et désignés pour être ses bourreaux ; ceux-ci s’étaient rangés en alignement, silencieux aussi et sans émotion apparente, tout au moins.

— À genoux, mes frères ! dit le grand-sage ; et faisons la prière mentale.

Tout le monde s’agenouilla. Le frère Yéo-hwa-tseu monta, lui, sur l’autel, et là, à genoux, se plaça auprès du Dragon-Baphomet, exactement au-dessous de sa griffe gauche ; en même temps, il enlevait ses insignes d’adepte luciférien et les déposait sur les genoux de l’idole ; puis, il ouvrait ses vêtements et mettait son épaule gauche à nu.

Dans le temple, maintenant, on n’entendait plus aucun bruit. Je voyais s’agiter les lèvres de tous ces fanatiques, murmurant leur infernale oraison ; ils suppliaient Lucifer d’agréer la vie du frère Yéo-hwa-tseu et de manifester son assentiment au sacrifice ainsi offert. Il pouvait être environ deux heures de l’après-midi ; au dehors, il faisait un temps superbe, et le soleil, envoyant ses rayons à travers le cristal limpide des baies transversales de la voûte, éclairait vivement les acteurs de cette scène inoubliable, plus directement ceux qui se trouvaient sur l’estrade de l’orient.

Ce grand calme, en face de l’acte odieux qui allait se commettre en cas d’approbation satanique très présumable, était véritablement monstrueux, et j’en étais saisi. Tout à l’horrible culte qui accaparait leurs pensées, aucun des assistants ne bougeait, ne manifestait un sentiment humain quelconque. Seul, j’étais atrocement ému ; d’une main, je comprimais ma poitrine, pour assourdir les battements de mon cœur ; car je craignais qu’on ne les entendît.

Avais-je donc peur ?… Non, évidemment. Je commençais, en effet, à être cuirassé, moi aussi, contre la crainte de la mort, et ces scélérats abominables, ces brutes infâmes n’étaient pas pour m’intimider.

Était-ce un accès de commisération qui me prenait à mon insu ?… Non encore. Je n’éprouvais aucune pitié à l’égard de ces misérables, se vouant de gaieté de cœur à la damnation éternelle ; et, si je n’avais pas tenu, avant toute chose, à poursuivre jusqu’au bout mon enquête, j’eusse, au contraire, défié toute cette tourbe luciférienne ; avec quelle joie j’aurais opposé, à la manifestation diabolique qu’ils attendaient, le signe toujours vainqueur des prestiges infernaux, le signe chrétien de la croix !…

Je ne sais donc ce que je ressentais ; je ne pourrais le dire. J’éprouvais,