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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/447

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par les mâles, du grand Amédée de Savoie, l’antipape, le saint initié »[1].

Nous avons longuement causé en tête à tête, Lemmi et moi, non seulement cette fois-là, mais à plusieurs autres de mes voyages. On était à l’aise, dans son cabinet encombré de bibelots de toutes sortes, choisis avec un caprice de parvenu imprégné de goûts artistiques ; de jolies plantes, entretenues par une main attentive, soigneuse, contribuent encore à égayer cette pièce où ne pénètrent que les intimes. Il y a, en Lemmi, un bohème complété par un raffiné ; le collectionneur de futilités se dénonce dans les moindres riens. Mais, au milieu de cet amoncellement de brimborions et d’objets d’art, l’observateur découvre aussi, fort aisément, par un rapide coup d’œil d’examen, le défaut capital, le vice indéniable, éclatant, du maître du logis. Rien, chez lui, ne sent la chose achetée, acquise des deniers du propriétaire ; c’est brutal. Lemmi est, par excellence, l’homme qui ne paie pas, et qui sait se faire offrir ce qu’il désire. Le plus menu service qu’il rend appelle un cadeau. S’il était d’un autre sexe, le grand-maître italien serait à coup sûr une courtisane, experte en la science des sourires qui rapportent gros. Il a de tout à profusion et ne dépense pas son argent ; son avarice n’a pas les dehors répugnants de l’amasseur de trésors, se privant du nécessaire, vivant dans la crasse, se renfermant pour compter ses écus et les cachant jalousement ; non, c’est un cupide coquet, qui sait extorquer et accumuler, mais qui étale gaiement sa richesse, et dont les griffes rapaces ont des faux airs d’ongles de gandin.

Sa cupidité, universellement connue, lui a joué un vilain tour, au point de vue de la réputation. Il y a deux ou trois ans, le colonel Achille Bizzoni l’accusa publiquement, par la voie de la presse italienne, d’être un simple voleur et d’avoir été condamné à la prison comme tel, à Marseille ; il citait la date de ce jugement infamant, qui, si j’ai bonne mémoire, serait de 1862. Lemmi proteste de toutes ses forces, affirma que le Lemmi condamné pour vol en France ne pouvait être qu’un homonyme, et invo-

  1. En un résumé, très simple et très clair, voici donc la ligne de descendance directe et masculine, qui va de l’antipape Amédée de Savoie à l’usurpateur Victor-Emmanuel II : — 1° Amédée l’antipape ; — 2° Louis Ier ; — 3° Philippe sans Terre ; — 4° Charles III le Bon ; — 5° Emmanuel-Philibert, dit Tête de Fer ; — 6° Charles-Emmanuel Ier le Grand ; — 7° Thomas-François de Savoie, premier prince de Carignan ; — 8° Emmanuel-Philibert-Amédée ; — 9° Victor-Amédée ; — 10° Louis-Victor-Amédée-Joseph ; — 11° Victor-Amédée ; — 12° Charles-Emmanuel-Ferdinand ; — 13° le roi Charles-Albert (qui s’appelait aussi Amédée, nom favori de la famille) ; — 14° le roi Victor-Emmanuel II. — Ajoutons : 15° le roi actuel Humbert Ier. — C’est donc à la treizième génération que la descendance de l’antipape s’est emparée, par un vol sacrilège, de la Ville-Sainte et a proclamé l’abolition du royaume temporel de l’Église catholique. — Remarque en passant : lors des fêtes données à Rome, en l’honneur des noces d’argent du roi et de la reine d’Italie et de la visite de l’empereur Guillaume II, l’un des fils d’Humbert, le jeune duc des Abruzzes, chevauchait, au grand défilé solennel du 25 avril (1893), à côté de la voiture où se trouvaient la reine sa mère et l’impératrice d’Allemagne, et le costume qu’avait revêtu le duc était celui d’Amédée VIII ; il représentait, dans le cortège royal, Amédée l’antipape !