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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/458

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ment toute la maçonnerie ordinaire italienne dans la main de Lemmi. Il ne suffisait pas que celui-ci fût en secret le Chef d’Action politique pour les vrais initiés ; il fallait lui donner une raison d’agir et de diriger, aux yeux des membres des simples loges, aux yeux des membres des hauts-grades initiés avec l’anneau. En effet, si pour les adeptes incomplètement éclairés Lemmi fût resté un président quelconque de Grand Orient, ils n’eussent pas manqué de le trouver par trop encombrant, dans ses actes directifs ; si d’autres pouvoirs de l’Écossisme italien fussent restés debout en face de lui, on eût pensé forcément, au sein des loges symboliques, qu’il marchait dans les plates-bandes des autres obédiences, qu’il se mêlait de ce qui ne le regardait pas, qu’il donnait à tort des ordres à qui n’avait pas à en recevoir de lui, et la discipline se fût ressentie de cette fausse situation. Il était donc indispensable de lui créer une position prééminente, qui lui permit de se mouvoir à sa guise dans la maçonnerie italienne, sans laisser soupçonner aux initiés incomplets sa véritable et secrète qualité de grand-maître du Souverain Directoire Exécutif universel. Mais aussi, il y avait à ménager Riboli ; il ne fallait pas lui retirer brutalement sa grande commanderie de Turin ; la manœuvre habile consistait à amener la fusion de ce Suprême Conseil par la force des choses. C’est pourquoi, on commença par disloquer le groupe Riboli au moyen du schisme Tamajo ; puis, on mit les deux groupes aux prises, en versant adroitement de l’huile sur le feu de leurs querelles intestines ; enfin, lorsque la rivalité des deux Suprêmes Conseils les eut épuisés l’un et l’autre, on acheta en monnaie sonnante l’abdication des chefs, et on leur fit faire la paix en les flanquant ensemble à la porte, avec un superbe titre honoraire.

Ce curieux aperçu des intrigues de Lemmi n’était pas inutile pour montrer la diplomatie maçonnique du personnage. Notez que, si des francs-maçons italiens me lisent, ils ouvriront dans leur surprise un large bec en apprenant ces choses. Mais, après avoir réfléchi et vérifié l’exactitude de toutes mes indications, ils seront obligés de dire : « Ma foi, c’est vrai ; seulement, le coup a été si habilement exécuté, que nous n’en avions pas eu le moindre soupçon. »

Que dire encore de Lemmi ? faut-il rappeler l’affaire des tabacs ? — C’est archi-connu. Le gouvernement d’Humbert, qui ne vit que par la protection secrète de la franc-maçonnerie (car, si la secte voulait, l’Italie serait bientôt en république), a accordé au Grand Orient, sous le nom de Lemmi, le monopole des tabacs importés d’Amérique. Cet acte d’illégalité et de favoritisme a été dénoncé, le 3 mai 1890, à la tribune du parlement italien, par le député Imbriani, radical, mais indépendant. C’est là l’occasion de jolis bénéfices qui alimentent la caisse de la maçonnerie