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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/529

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L’anglais ralluma nos torches, et nous voilà de nouveau en marche, le couloir s’élargissant au fur et à mesure que nous avancions.

Bientôt, nous nous trouvâmes sur une sorte de plate-forme, où nous n’avions plus besoin de lumière ; nous étions arrivés aux ateliers, dont on apercevait une première entrée, ouverte, immense, et le feu de cet enfer nous éclairait d’une lueur des plus vives.

Du haut de la plate-forme, je distinguais à merveille le va-et-vient des ouvriers, leurs forges, leur travail de fabrication. Là, se confectionne toute cette zinguerie du diable, qui, au sortir de l’usine souterraine, s’en va orner les temples et les triangles palladiques du monde entier.

Un large escalier, taillé dans le granit, permet de descendre avec commodité de la plate-forme aux ateliers de Satan.

Au pied de cet escalier, se tenait un homme, la main droite sur le cœur, la gauche levée en l’air faisant les cornes, c’est-à-dire en posture d’ordre au Rite Spœléïque. Je regarde l’individu, et je m’écrie :

— Tiens, Crocksonn, le révérend Alcool, de Singapore !… Ah ça ! mais, comment diable pouvez-vous être ici ?… Vous avez donc renoncé à vos voyages, à vos tournées, où vous vous montriez infatigable, cher ami ?…

— Je ne suis pas le révérend Crocksonn, me répond mon homme ; mais je suis son frère, pour vous servir… Joë Crocksonn, ajoute-t-il en se présentant… Puis : vous le connaissez alors, mon frère le ministre ?…

— Je crois bien, je ne connais que lui !

En deux mots, je le mets au courant.

— Mais, vous, lui dis-je en terminant mon récit, comment se fait-il que vous soyez à Gibraltar ?

— Ah ! c’est toute une histoire, murmure-t-il.

Après quoi, tandis que mon introducteur s’éloigne sur un signe, Joë commence d’un ton mielleux et avec une larme hypocrite :

— Mon frère a eu dans sa carrière un gros malheur…

Ici un soupir de crocodile. Puis, il s’arrête, il hésite, et enfin il reprend :

— Oui, au fait, je puis bien vous le dire, à vous… Un peu d’argent, qu’il avait trouvé par hasard…

— Un portefeuille perdu dans la rue ?

— Non, des métaux dans un tiroir de meuble fermé à clef… Ensuite, vous savez, la loi est si mal faite chez tant de peuples, même chez nous, Anglais… Alors, les galères… à perpétuité…

— Comment ! à perpétuité ?

— Hélas ! oui… Je ne le sais que trop, puisque c’est moi qui ai été condamné…