Aller au contenu

Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est matériellement impossible d’escalader jusque-là ; non seulement le rocher est presque perpendiculaire en cet endroit ; mais encore cette saillie, relativement légère dans l’ensemble, ne peut, à la distance où elle se trouve, se distinguer à l’œil nu, attendu que, rocaille naturelle elle-même, elle se confond avec le reste, vue de la mer.

Un escalier est taillé à vif dans la pierre ; nous le montons. Le haut de l’entonnoir est une sorte de plateau demi-circulaire, avec une bordure de marbre gris brut, habilement disposée ; nos têtes seules la dépassent. Plongeant nos regards dans l’immensité, nous voyons et ne sommes pas vus ; pour les yeux des gens qui passent au large dans les barques, une tête humaine, là où nous nous trouvons, équivaut à un millième de tête d’épingle.

Enfin, je puis respirer à pleins poumons, et le coup d’œil est splendide.

Supposons, un instant, que j’ai un de mes lecteurs avec moi, quelqu’un à qui je puisse parler, en laissant déborder toute mon âme de croyant.

Penchons-nous, lui dirai-je, sondons l’espace qui est au-dessous de nous. Regardez ici, sur ce rocher pelé, aride et nu, ce maigre filet qui serpente et coule ; est-ce de l’eau d’une source vive ? Non, car cela fume ; c’est de l’acide ou des acides, de l’eau régale, résidus du laboratoire où nous allons nous rendre… Ce maigre filet n’a l’air de rien ; mais notons en bien ici la place, à gauche du contrefort de la Méditerranée. Peu à peu, il accomplit silencieusement son œuvre lente de dissolution et de dissociation. C’est le diable qui, de sa propre main, détruit son œuvre. Ce ruisseau infime est l’image de l’enfer dans notre société moderne. Imperceptible filet, il ne parait rien être à ceux qui le voient par hasard ; personne n’y fait attention aujourd’hui. Dans cent ans, moins peut-être, il aura limé, taillé, coupé la roche, séparé le contrefort de la terrasse, du reste de l’immense bloc, et toute une énorme partie de la masse granitique s’éboulera, tout à coup, en un formidable cataclysme, dont la cause restera probablement inconnue à jamais. Je me trompe ; si, dans un siècle, quelqu’un par aventure dit : « Mais c’est le démon ou son œuvre, c’est le travail de ses suppôts qui a fait cela », tout le monde lui rira au nez, les incrédules certes et bien des catholiques plus fort encore.

Voyez, tout un gros pâté de roches est dissocié déjà, et, par intervalles, des éboulis et des tassements légers se font, auxquels nul ne prend garde.

Les habitants de Gibraltar ont trouvé une explication à cette grêle subite de pierres, qui pleut de temps en temps : l’explication est plausible ou parait plausible ; en tout cas, elle témoigne, par sa naïveté, l’igno-